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la maison à vapeur.

Le capitaine Hod et moi, nous étions absolument seuls.

Non seulement les gens de Van Guitt, mais les animaux domestiques et les fauves dormaient également, ceux-ci dans leurs cages, ceux-là groupés sous les grands arbres, à l’extrémité du kraal. Silence complet au dedans comme au dehors.

Notre promenade nous amena d’abord vers la place occupée par les buffles. Ces magnifiques ruminants, doux et dociles, n’étaient pas même entravés. Habitués à reposer sous le feuillage de gigantesques érables, nous les voyions là, tranquillement étendus, les cornes enchevêtrées, les pattes repliées sous eux, et l’on entendait une lente et bruyante respiration qui sortait de ces masses énormes.

Ils ne se réveillèrent même pas à notre approche. L’un d’eux, seulement, redressa un instant sa grosse tête, jeta sur nous ce regard sans fixité qui est particulier aux animaux de cette espèce, puis il se confondit de nouveau dans l’ensemble.

« Voilà à quel état les réduit la domesticité, ou plutôt la domestication, dis-je au capitaine.

— Oui, me répondit Hod, et, cependant, ces buffles sont de terribles animaux, quand ils vivent à l’état sauvage. Mais, s’ils ont pour eux la force, ils n’ont pas la souplesse, et que peuvent leurs cornes contre la dent des lions ou la griffe des tigres ? Décidément, l’avantage est aux fauves. »

Tout en causant, nous étions revenus vers les cages. Là, aussi, repos absolu. Tigres, lions, panthères, léopards, dormaient dans leurs compartiments séparés. Mathias Van Guitt ne les réunissait que lorsqu’ils étaient assouplis par quelques semaines de captivité, et il avait raison. Très certainement, en effet, ces féroces animaux, aux premiers jours de leur séquestration, se seraient dévorés entre eux.

Les trois lions, absolument immobiles, étaient couchés en demi-cercle comme de gros chats. On ne voyait plus leur tête, perdue dans un épais manchon de fourrure noire, et ils dormaient du sommeil du juste.

Assoupissement moins complet dans les compartiments des tigres. Des yeux ardents flamboyaient dans l’ombre. Une grosse patte s’allongeait de temps en temps et griffait les barreaux de fer. C’était un sommeil de carnassiers qui rongent leur frein.

« Ils font de mauvais rêves, et je comprends cela ! » dit le compatissant capitaine.