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le lac puturia

« Hein ! ne put s’empêcher de dire le capitaine Hod, quelle occasion de tuer là son cinquantième !

— Une autre fois, mon capitaine ! répondit Banks. Le jour venu, j’aime à penser qu’au moment où nous accosterons la rive, cette bande de fauves nous aura cédé la place !

— Y aurait-il quelque inconvénient, demandai-je, à mettre les fanaux électriques en activité ?

— Je ne le pense pas, répondit Banks. Cette partie de la berge n’est très probablement occupée que par des animaux en train de boire. Il n’y a donc aucun inconvénient à tenter de la reconnaître. »

Et, sur l’ordre de Banks, deux faisceaux lumineux furent projetés dans la direction du sud-est. Mais la lumière électrique, impuissante à percer cette opaque brume, ne put l’éclairer que dans un court secteur en avant de Steam-House, et la rive demeura absolument invisible à nos regards.

Cependant, ces hurlements, dont l’intensité s’accroissait peu à peu, indiquaient que le train ne cessait de dériver à la surface du lac. Évidemment, les animaux, rassemblés en cet endroit, devaient être fort nombreux. À cela rien d’étonnant, puisque le lac Puturia est comme un abreuvoir naturel pour les fauves de cette partie du Bundelkund.

« Pourvu que Goûmi et Kâlagani ne soient pas tombés au milieu de la bande ! dit le capitaine Hod.

— Ce ne sont pas les tigres que je crains pour Goûmi ! » répondit le colonel Munro.

Décidément, les soupçons n’avaient fait que grandir dans l’esprit du colonel. Pour ma part, je commençais à les partager. Et pourtant, les bons offices de Kâlagani, depuis notre arrivée dans la région de l’Himalaya, ses services incontestables, son dévouement dans ces deux circonstances où il avait risqué sa vie pour Sir Edward Munro et pour le capitaine Hod, tout témoignait en sa faveur. Mais, lorsque l’esprit se laisse entraîner au doute, la valeur des faits accomplis s’altère, leur physionomie change, on oublie le passé, on craint pour l’avenir.

Cependant, quel mobile pouvait pousser cet Indou à nous trahir ? Avait-il des motifs de haine personnelle contre les hôtes de Steam-House ? Non, assurément ! Pourquoi les aurait-il attirés dans un guet-apens ? C’était inexplicable. Chacun se livrait donc à des pensées fort confuses, et l’impatience nous prenait à attendre le dénouement de cette situation.