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Page:Verne - La Maison à vapeur, Hetzel, 1902.djvu/63

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le géant d’acier.

De plus, à petits intervalles, il s’échappait de la trompe dressée vers le ciel un vif tourbillon de vapeur.

Et cependant, c’était bien là un éléphant ! Sa peau rugueuse, d’un vert noirâtre, recouvrait, à n’en pas douter, une de ces ossatures puissantes dont la nature a gratifié le roi des pachydermes ! Ses yeux brillaient de l’éclat de la vie ! Ses membres étaient doués de mouvement !

Oui ! Mais si quelque curieux se fût hasardé à poser sa main sur l’énorme animal, tout se fût expliqué. Ce n’était qu’un merveilleux trompe-l’œil, une imitation surprenante, ayant toutes les apparences de la vie, même de près.

En effet, cet éléphant était en tôle d’acier, et toute une locomotive routière se cachait dans ses flancs.

Quant au train, au « Steam-House », pour employer la qualification qui lui convient, c’était l’habitation roulante promise par l’ingénieur.

Le premier char, ou plutôt la première maison, servait d’habitation au colonel Munro, au capitaine Hod, à Banks et à moi.

La seconde logeait le sergent Mac Neil et les gens formant le personnel de l’expédition.

Banks avait tenu sa promesse, le colonel Munro avait tenu la sienne, et voilà pourquoi, dans cette matinée du 6 mai, nous étions partis en cet extraordinaire équipage, afin de visiter les régions septentrionales de la péninsule indienne.

Mais à quoi bon cet éléphant artificiel ? Pourquoi cette fantaisie, en désaccord avec l’esprit si pratique des Anglais ? Jamais jusqu’alors on n’avait imaginé de donner à une locomotive, destinée à circuler, soit sur le macadam des grandes routes ou sur les rails des voies ferrées, la forme d’un quadrupède quelconque !

Il faut bien l’avouer, la première fois que nous fûmes admis à voir cette surprenante machine, il y eut un ébahissement général. Les pourquoi et les comment tombèrent dru sur notre ami Banks. C’était d’après ses plans et sous sa direction que cette locomotive routière avait été construite. Qui donc avait pu lui donner l’idée bizarre de la dissimuler entre les parois d’acier d’un éléphant mécanique ?

« Mes amis, se contenta de répondre très sérieusement Banks, connaissez-vous le rajah de Bouthan ?

— Je le connais, répondit le capitaine Hod, ou plutôt je le connaissais, car il est mort depuis trois mois.