Aller au contenu

Page:Verne - La Maison à vapeur, Hetzel, 1902.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
69
premières étapes.

La route que suivait notre train côtoyait alors la rive gauche de l’Hougly, le plus occidental de ces nombreux bras du Gange, dont l’ensemble comprend l’inextricable réseau du delta des Sunderbunds. Toute cette partie du territoire est de formation alluvionnaire.

« Ce que vous voyez là, mon cher Maucler, me dit Banks, c’est une conquête du fleuve sacré sur le golfe non moins sacré du Bengale. Affaire de temps. Il n’y a peut-être pas une parcelle de cette terre qui ne soit venue des frontières de l’Himalaya, transportée par le courant du Gange. Le fleuve a peu à peu égrené la montagne pour en composer le sol de cette province, où il s’est ménagé un lit…

— Qu’il abandonne souvent pour un autre ! ajouta le capitaine Hod. Ah ! c’est un capricieux, un fantasque, un lunatique, que ce Gange ! On bâtit une ville sur ses bords, et, quelques siècles plus tard, la ville est au milieu d’une plaine, ses quais sont à sec, le fleuve a changé sa direction et son embouchure ! Ainsi Rajmahal, ainsi Gaur, toutes les deux, autrefois, baignées par l’infidèle cours d’eau, et qui maintenant meurent de soif au milieu des rizières desséchées de la plaine !

— Eh ! répondis-je, ne peut-on craindre que pareil sort ne soit réservé à Calcutta ?

— Qui sait ?

— Bon ! ne sommes-nous pas là ! répliqua Banks. Ce n’est qu’une question de digues ! Si cela est nécessaire, les ingénieurs sauront bien contenir les débordements de ce Gange ! On lui mettra la camisole de force !

— Heureusement pour vous, mon cher Banks, répondis-je, les Indous ne vous entendent pas parler ainsi de leur fleuve sacré ! Ils ne vous le pardonneraient pas !

— En effet, répondit Banks, le Gange, c’est un fils de Dieu, s’il n’est Dieu lui-même, et rien de ce qu’il fait n’est mal à leurs yeux !

— Pas même les fièvres, le choléra, la peste qu’il entretient à l’état endémique ! s’écria le capitaine Hod. Il est vrai que les tigres et les crocodiles, qui fourmillent dans les Sunderbunds, ne s’en portent pas plus mal. Au contraire ! On dirait, vraiment, que l’air empesté convient à ces animaux-là comme l’air pur d’un sanitarium aux Anglo-Indiens pendant la saison chaude. Ah ! ces carnassiers ! – Fox ? dit Hod en se retournant vers son brosseur, qui desservait la table.

— Mon capitaine ? répondit Fox.