Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/135

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plus désagréablement qu’ils ne l’ont été jusqu’ici, sont soumis aux tyrannies de la police et aux vexations de la douane.

Évidemment, Ilia Krusch et M. Jaeger, qui n’avaient point de marchandises à embarquer ou à débarquer, ne comptaient subir aucun retard de ce chef. Leur barge n’était pas un chaland, et, à moins qu’on eût établi un nouveau droit sur les gaules, les hameçons et les flottes, ils n’étaient point exposés à (des droits)[1] qui demanderaient deux ou trois heures pour être acquittés, ils comptaient bien être à même de partir dès qu’ils le jugeraient convenable, à toute heure de jour ou de nuit.

Cependant, ce qui aurait dû tout d’abord causer quelque surprise à M. Jaeger, c’était le grand nombre de chalands arrêtés devant Orsova. Ils étaient une trentaine, et sur chacun se voyait de faction une sentinelle valaque, tandis que des agents de la douane les soumettaient à une visite des plus rigoureuses.

M. Jaeger ne tarda pas à apprendre que, par ordre supérieur, l’embargo était mis sur tous les bateaux qui voulaient dépasser Orsova. Cette mesure extrêmement vexatoire venait d’être prise par la Commission internationale. Ordres très sévères donnés à ses agents. Aucun chaland ne pourrait continuer sa navigation en aval, dût-il opérer son déchargement complet, avant que la douane fût assurée qu’il ne portait pas des marchandises de contrebande.

« Bon ! fit observer Ilia Krusch, ce doit être un coup du chef Dragoch, et il aura des raisons de croire qu’il va enfin s’emparer de Latzko, ou tout au moins saisir un de ses bateaux fraudeurs ! »

M. Jaeger ne répondit pas. Les lèvres serrées, debout dans la barge, dont le grappin avait mordu la grève, il regardait toute cette animation, il écoutait tous ces cris, toutes ces objurgations qui éclataient de tous côtés contre une mesure si préjudiciable à la batellerie danubienne.

Et, alors, M. Ilia Krusch d’ajouter :

« Dans tous les cas, cela ne peut nous atteindre… et je ne vois pas de quelle contrebande notre barge pourrait être chargée !… Au surplus, en dix minutes, on l’aura visitée si l’on veut. »

Eh bien, il se trompait, le brave homme ! Il comptait sans les vexations routinières auxquelles se complaisent les administrations de tous les pays, et plus particulièrement dans ces provinces danubiennes.

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