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le château impérial, les palais des chancelleries, l’Hôtel de Ville, les arsenaux, la monnaie, la douane, le théâtre, les palais Esterhazy, Lichtenstein, et autres, il n’était pas sans avoir respectueusement fléchi le genou dans les Églises de Saint-Étienne, de Saint-Pierre, de Saint-Cyarlis, sans s’être promené au Prater, à Augarten, à Volksgarten, sans avoir salué sur la place du Vieux Marché l’ex-voto de l’Empereur Léopold, sans avoir admiré les vues superbes qui s’offrent au regard des terrasses du jardin du Belvédère.

On comprendra donc qu’Ilia Krusch ne songeât point à quitter sa barge où il se trouvait à l’abri des indiscrétions que les journaux de Vienne pourraient commettre à son sujet. Et, en effet, il eût risqué d’être en proie à tous les ennuis qu’aurait accumulé au-dessus de sa tête la Renommée aux cents bouches, car il ne devait repartir que le surlendemain.

C’est bien ce qui avait été convenu entre son compagnon et lui. En effet, différentes affaires retiendraient toute la journée M. Jaeger dans la capitale. Il s’en irait dès le matin et serait revenu le soir, s’engageant à tenir secrète, et sur la demande expresse de celui-ci, l’arrivée d’Ilia Krusch.

La nuit achevée, M. Jaeger partit donc dès huit heures, et, sans faute, il reviendrait pour le souper.

« Je peux compter sur vous, monsieur Jaeger ?…

— Absolument, monsieur Krusch. »

M. Jaeger débarqua, et, d’un pas agile, s’engagea le long du Donau-Canal, entre les deux quartiers du AusterGrund et de Leopoldstadt, à travers un dédale de rues bien connues de lui qui devaient le conduire au centre de la cité.

Si la journée fut fertile en incidents pour M. Jaeger, elle fut des plus monotones pour Ilia Krusch. Et pourtant les feuilles locales avaient annoncé qu’il passerait à Vienne vers cette époque. Il put même le constater en lisant un journal dans un petit café non loin de l’appontement. Et les habitués ne se doutaient guère que le lauréat de la Ligne Danubienne dégustait son bock dans un coin de la salle.

Puis, Ilia Krusch revint à la barge, dont il fit la toilette avec soin. Les fonds et les bancs furent lavés à grande eau, la literie du tôt resta exposée aux rayons du soleil, après avoir été secouée et battue ; et, en se livrant à ce travail, il pensait bien plus à l’ami Jaeger qu’à lui-même. Enfin, au dîner de midi, il s’installa sur le banc de l’arrière, et mangea avec la modération qui convient aux estomacs bien entretenus et le calme qui provient d’une conscience tranquille.

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