Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/99

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— Ah ! vraiment…

— Vous serez encore là demain matin ?…

— Comment donc, mon ami !

— Alors bonsoir…

— Bonsoir ! »

Et l’homme partit, tout courant, enchanté d’aller répandre la grande nouvelle !

Le lendemain, dès trois heures, alors qu’il faisait encore nuit, Ilia Krusch avait détaché sa barge. Une demi-heure plus tard, elle rencontrait les eaux du Danube aux Moulins impériaux, deux lignes de vingt bateaux chacune dont les roues tournent au courant, et lorsque la foule des admirateurs, le matin venu, se pressait sur l’appontement et sur la rive, elle se trouvait déjà à une bonne lieue de la capitale.

On voit maintenant par suite de quelles circonstances très imprévues, Ilia Krusch descendait seul alors le cours du fleuve. Après avoir dépassé Essling et Lobau, île ronde et inhabitée, deux noms célèbres dans les fastes historiques du premier empire, il continuait sa tranquille navigation vers Presbourg.

Le parcours entre Vienne et Presbourg parut bien long à Ilia Krusch. Il connaissait si bien le grand fleuve que ses points de vue n’avaient plus d’intérêt pour lui. Navigation monotone, entre des rives assez basses, sur la droite principalement, jusqu’à la bourgade de Fischament, et qui se relèvent aux environs de la bourgade de Regalsbrun. Et, plus loin, la montagne de Hainbourg n’obtint de lui qu’une attention distraite. Il pêchait le matin, il dérivait tout le jour, il repêchait le soir, il allait vendre son poisson dans les hameaux, de préférence aux bourgades et aux villes, il y passait la nuit, et repartait dès l’aube.

C’est ainsi qu’Ilia Krusch atteignit la frontière qui sépare l’archiduché du royaume magyar, frontière que la Leytha délimite à gauche, et la March[1] à droite, deux grands tributaires du Danube. Quelques gabarres sortaient de la March, le premier cours d’eau de la rive gauche qui soit navigable, ceux de droite, l’Inn, l’Enns, la Traise servant déjà au service de la batellerie.

Après avoir franchi le défilé qui porte le nom de Porte de Hongrie, après avoir contourné les pointes multiples que les Petites Karpates enfoncent dans le fleuve comme les dents d’une scie, et dont l’une est couronnée par la tour légendaire de Theben, après avoir longé l’île qui semble barrer le Danube en cet endroit, Ilia Krusch franchit le pont de bateau, et vint passer la nuit devant la dernière maison de Presbourg.

  1. March, nom allemand de la Morave, qui donne son nom à la Moravie (NDLR).
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