Page:Verne - Le Château des Carpathes.djvu/84

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« Nous n’avons que l’embarras du choix… pour être mal ! murmura le docteur Patak.

— Plaignez-vous donc ! répondit Nic Deck.

— Certainement, je me plains ! Quel agréable endroit pour attraper quelque bon rhume ou quelque bon rhumatisme dont je ne saurai comment me guérir ! »

Aveu dépouillé d’artifice dans la bouche de l’ancien infirmier de la quarantaine. Ah ! combien il regrettait sa confortable petite maison de Werst, avec sa chambre bien close et son lit bien doublé de coussins et de courtepointes !

Entre les blocs disséminés sur le plateau d’Orgall, il fallait en choisir un dont l’orientation offrirait le meilleur paravent contre la brise du sud-ouest, qui commençait à piquer. C’est ce que fit Nic Deck, et bientôt le docteur vint le rejoindre derrière une large roche, plate comme une tablette à sa partie supérieure.

Cette roche était un de ces bancs de pierre, enfoui sous les scabieuses et les saxifrages, qui se rencontrent fréquemment à l’angle des chemins dans les provinces valaques. En même temps que le voyageur peut s’y asseoir, il a la faculté de se désaltérer avec l’eau que contient un vase déposé en dessus, laquelle est renouvelée chaque jour par les gens de la campagne. Alors que le château était habité par le baron Rodolphe de Gortz, ce banc portait un récipient que les serviteurs de la famille avaient soin de ne jamais laisser vide. Mais, à présent, il était souillé de détritus, tapissé de mousses verdâtres, et le moindre choc l’eût réduit en poussière.

À l’extrémité du banc se dressait une tige de granit, reste d’une ancienne croix, dont les bras n’étaient figurés sur le montant vertical que par une rainure à demi effacée. En sa qualité d’esprit fort, le docteur Patak ne pouvait admettre que cette croix le protégerait contre des apparitions surnaturelles. Et, cependant, par une anomalie commune à bon nombre d’incrédules, il n’était pas éloigné de croire au diable. Or, dans sa pensée, le Chort ne devait pas être loin, c’était lui qui hantait le burg, et ce