Page:Verne - Le Château des Carpathes.djvu/98

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crurent voir des ombres se dessiner au lointain, à travers l’éclaircie des arbres… Illusion pure ! Le col était désert, comme à l’habitude, car il était rare que les gens de la frontière voulussent s’y hasarder pendant la nuit. Et puis, on était au mardi soir — ce mardi des génies malfaisants — et, ce jour-là, les Transylvains ne courent pas volontiers la campagne, au coucher du soleil. Il fallait que Nic Deck fût fou d’avoir choisi un pareil jour pour visiter le burg. La vérité est que le jeune forestier n’y avait point réfléchi, ni personne, au surplus, dans le village.

Mais c’est bien à cela que Miriota songeait alors. Et quelles effrayantes images s’offraient à elle ! En imagination, elle avait suivi son fiancé heure par heure, à travers ces épaisses forêts du Plesa, tandis qu’il remontait vers le plateau d’Orgall… Maintenant, la nuit venue, il lui semblait qu’elle le voyait dans l’enceinte, essayant d’échapper aux esprits qui hantaient le château des Carpathes… Il était devenu le jouet de leurs maléfices… C’était la victime vouée à leur vengeance… Il était emprisonné au fond de quelque souterraine geôle… mort peut-être…

Pauvre fille, que n’eût-elle donné pour se lancer sur les traces de Nic Deck ! Et, puisqu’elle ne le pouvait, du moins aurait-elle voulu l’attendre toute la nuit en cet endroit. Mais son père l’obligea à rentrer, et, laissant le berger en observation, tous deux revinrent à leur logis.

Dès qu’elle fut seule en sa petite chambre, Miriota s’abandonna sans réserve à ses larmes. Elle l’aimait, de toute son âme, ce brave Nic, et d’un amour d’autant plus reconnaissant que le jeune forestier ne l’avait point recherchée dans les conditions où se décident ordinairement les mariages en ces campagnes transylvaines et d’une façon si bizarre.

Chaque année, à la fête de la Saint-Pierre, s’ouvre la « foire aux fiancés ». Ce jour-là, il y a réunion de toutes les jeunes filles du comitat. Elles sont venues avec leurs plus belles carrioles attelées de leurs meilleurs chevaux ; elles ont apporté leur dot, c’est-à-dire des