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martin paz.

sa ceinture était passé un de ces poignards malais, terribles dans une main exercée, car ils semblent rivés au bras qui les manie. Dans le nord de l’Amérique, sur les bords du lac Ontario, cet Indien eût été chef de ces tribus errantes, qui livrèrent aux Anglais tant de combats héroïques.

Martin Paz savait que Sarah était fille du riche Samuel et fiancée à l’opulent métis André Certa ; il savait que par sa naissance, sa position et sa richesse, elle ne pouvait lui appartenir, mais il oubliait toutes ces impossibilités pour ne sentir que son propre entraînement.

Plongé dans ses réflexions, Martin Paz hâtait sa marche, quand il fut rejoint par deux Indiens qui l’arrêtèrent.

« Martin Paz, lui dit l’un d’eux, tu dois ce soir même revoir nos frères dans les montagnes ?

— Je les reverrai, répondit froidement l’Indien.

— La goëlette l’Annonciacion s’est montrée à la hauteur du Callao, a louvoyé quelques instants, puis, protégée par la pointe, a bientôt disparu. Sans doute, elle se sera approchée de terre vers l’embouchure de la Rimac, et il sera bon que nos canots d’écorce aillent l’alléger de ses marchandises. Il faudra que tu sois là !

— Martin Paz sait ce qu’il doit faire, et il le fera.

— C’est au nom du Sambo que nous te parlons ici.

— Et moi, c’est en mon nom que je vous parle !

— Ne crains-tu pas qu’il trouve inexplicable ta présence à cette heure dans le faubourg de San-Lazaro ?

— Je suis là où il me plaît d’être.

— Devant la maison du juif ?

— Ceux de mes frères qui le trouveront mauvais me rencontreront cette nuit dans la montagne. »

Les yeux de ces trois hommes étincelèrent, et ce fut tout. Les Indiens regagnèrent la berge de la Rimac, et le bruit de leurs pas se perdit dans l’obscurité.

Martin Paz s’était vivement rapproché de la maison du juif. Cette maison, comme toutes celles de Lima, n’avait que deux étages ; le rez-de-chaussée, construit en briques, était surmonté de murs formés de cannes liées ensemble et recouvertes de plâtre. Toute cette partie du bâtiment, propre à résister aux tremblements de terre, imitait, par une habile peinture, les briques des premières assises ; le toit, carré, était couvert de fleurs et formait une terrasse pleine de parfums.

Une vaste porte cochère, placée entre des pavillons, donnait accès dans une