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martin paz.

espoir de le retrouver, qu’il entoure son bras d’un foulard rouge. Il y a des yeux qui le voient passer tous les jours. »

Le Sambo froissa le billet.

« Le malheureux, dit-il, s’est laissé prendre aux yeux d’une femme !

— Quelle est cette femme ? demanda Manangani.

— Ce n’est pas une Indienne, répondit le Sambo, en regardant le billet. C’est quelque jeune fille élégante… Ah ! Martin Paz, je ne te reconnais plus !

— Ferez-vous ce que cette femme vous prie de faire ?

— Non pas, répondit violemment l’Indien. Qu’elle perde tout espoir de jamais revoir mon fils, et qu’elle en meure ! »

Et le Sambo déchira le billet avec rage.

« C’est un Indien qui a dû apporter ce billet, fit observer Manangani.

— Oh ! il ne peut être des nôtres ! Il aura su que je venais souvent à cette auberge, mais je n’y remettrai plus les pieds. Que mon frère retourne aux montagnes, je reste à veiller sur la ville. Nous verrons si la fête des Amancaës sera joyeuse pour les oppresseurs ou pour les opprimés ! »

Les deux Indiens se séparèrent.

Le plan était bien conçu et l’heure de son exécution bien choisie. Le Pérou, presque dépeuplé alors, ne comptait qu’un petit nombre d’Espagnols et de métis. L’invasion des Indiens, accourant des forêts du Brésil aussi bien que des montagnes du Chili et des plaines de la Plata, devait couvrir d’une armée redoutable le théâtre de la rébellion. Une fois les grandes villes, telles que Lima, Cusco, Puno, détruites de fond en comble, il n’était pas à croire que les troupes colombiennes, chassées depuis peu par le gouvernement péruvien, vinssent au secours de leurs ennemis en péril.

Ce bouleversement social devait donc réussir, si le secret demeurait enseveli dans le cœur des Indiens, et, certes, il n’y avait pas de traîtres parmi eux.

Mais ils ignoraient qu’un homme avait obtenu une audience particulière du président Gambarra ; ils ignoraient que cet homme lui apprenait que la goëlette l’Annonciacion avait débarqué des armes de toutes sortes dans des pirogues indiennes à l’embouchure de la Rimac. Et cet homme venait réclamer une forte indemnité pour le service qu’il rendait au gouvernement péruvien, en dénonçant ces faits.

Or, cet homme jouait un double jeu. Après avoir loué son navire aux agents du Sambo pour un prix considérable, il venait vendre au président le secret des conjurés.

On reconnaît, à ces traits, le juif Samuel.