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martin paz.

Martin Paz. En suivant avec une peine infinie quelques empreintes fugitives, il fut amené à longer les berges jusqu’à une clairière un peu moins sombre. Là, quelques piétinements indiquaient qu’une troupe d’hommes avait franchi le fleuve à cet endroit.

Martin Paz cherchait à s’orienter, quand il vit une sorte de masse noire remuer près d’un taillis. Il prépara vivement son lazo et se tint prêt à une attaque ; mais, s’étant avancé de quelques pas, il aperçut une mule couchée à terre, en proie aux dernières convulsions. La pauvre bête expirante avait dû être frappée loin de l’endroit où elle s’était traînée, en laissant de longues traces de sang que Martin Paz retrouva. Il ne douta plus que les Indiens, ne pouvant lui faire traverser le fleuve, ne l’eussent tuée d’un coup de poignard. Il ne conçut donc plus de doute sur la direction de ses ennemis et revint près de son compagnon.

« Demain peut-être nous serons arrivés, lui dit-il.

— Partons à l’instant, répondit l’Espagnol.

— Mais il faut traverser ce fleuve !

— Nous le traverserons à la nage ! »

Tous deux se dépouillèrent de leurs habits, que Martin Paz réunit en paquet sur sa tête, et ils se glissèrent silencieusement dans l’eau, de peur d’éveiller quelques-uns de ces dangereux caïmans, si nombreux dans les rivières du Brésil et du Pérou.

Ils arrivèrent à l’autre rive. Le premier soin de Martin Paz fut de rechercher les traces des Indiens, mais il eut beau examiner les feuilles, les cailloux, il ne put rien découvrir. Comme le courant assez rapide les avait entraînés à la dérive, don Végal et l’Indien remontèrent la berge du fleuve, et, là, ils retrouvèrent des empreintes auxquelles ils ne pouvaient se tromper.

C’était là que le Sambo avait traversé la Madeira avec sa troupe, qui s’était augmentée sur son passage. En effet, les Indiens des plaines et des montagnes, qui attendaient avec impatience le triomphe de la révolte, apprenant qu’ils avaient été trahis, poussèrent des rugissements de rage, et, voyant qu’ils avaient une victime à sacrifier, suivirent la troupe du vieil Indien.

La jeune fille n’avait plus le sentiment de ce qui se passait autour d’elle. Elle allait, parce que des mains la poussaient en avant. On l’eût abandonnée au milieu de ces solitudes, qu’elle n’aurait pas fait un pas pour échapper à la mort. Parfois le souvenir du jeune Indien passait devant ses yeux ; puis, elle retombait comme une masse inerte sur le cou de sa mule. Lorsque, au-delà du fleuve, elle dut suivre à pied ses ravisseurs, deux Indiens la traînèrent rapidement, et une trace de sang marqua son passage.