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journal du passager j.-r. kazallon.

plus tenable. — J’aime mieux, après tout, que vous sachiez ces choses, monsieur Kazallon, ajouta Robert Kurtis, et voilà pourquoi je vous les dis. »

J’ai écouté en silence le récit du second. Je comprends toute la gravité de la situation, en présence d’un incendie dont l’intensité s’accroît de jour en jour, et que, peut-être, aucune puissance humaine ne peut enrayer.

« Savez-vous comment le feu a pris ? ai-je demandé à Robert Kurtis.

— Très-probablement, me répond-il, il est dû à une combustion spontanée du coton.

— Cela arrive-t-il souvent ?

— Souvent, non, mais quelquefois, car, lorsque le coton n’est pas très-sec au moment où on l’embarque, la combustion peut se produire spontanément dans les conditions où il se trouve, au fond d’une cale humide qu’il est difficile de ventiler. Or, il est certain pour moi que l’incendie qui a éclaté à bord n’a pas eu d’autre cause.

— Qu’importe la cause, après tout ? ai-je répondu. Y a-t-il quelque chose à faire, monsieur Kurtis ?

— Non, monsieur Kazallon, me répond Robert Kurtis, et je vous répète que nous avons pris toutes les précautions voulues en pareille circonstance. J’avais pensé à saborder le navire à sa ligne de flottaison pour y introduire une certaine quantité d’eau que les pompes auraient épuisée ensuite, mais nous avons cru reconnaître que l’incendie s’est propagé dans les couches intermédiaires de la cargaison, et il aurait fallu noyer entièrement la cale pour l’atteindre. Cependant, j’ai fait percer le pont en certains endroits, et, pendant la nuit, on verse de l’eau par ces ouvertures, mais cela est insuffisant. Non, il n’y a véritablement qu’une chose à faire, — ce que l’on fait toujours en pareil cas, — procéder par étouffement, en fermant toute issue à l’air extérieur, et obliger, faute d’oxygène, l’incendie à s’éteindre de lui-même.

— Et l’incendie s’accroît toujours ?

— Oui ! ce qui prouve que l’air pénètre dans la cale par quelque ouverture que, malgré toutes nos recherches, nous n’avons pu découvrir.

— Cite-t-on des exemples de navires qui aient résisté dans ces conditions, monsieur Kurtis ?

— Sans doute, monsieur Kazallon, et il n’est pas rare que des bâtiments, chargés de coton, arrivent à Liverpool ou au Havre avec une partie de leur cargaison consumée. Mais, dans ce cas, l’incendie a pu être éteint ou tout au moins contenu pendant la traversée. J’ai connu plus d’un capitaine qui est ainsi arrivé au port avec un pont brûlant sous ses pieds. Le déchargement était alors rapi-