Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/149

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déjà leur suffisance d’inquiétudes. Au delà de Mayence, on verrait le parti auquel il conviendrait de s’arrêter, et s’il serait nécessaire de se séparer jusqu’à la frontière. En nous pressant, peut-être pourrions-nous distancer le régiment de Leib, de façon à gagner avant lui la Lorraine.

Nous partîmes dès six heures du matin. Malheureusement, la route était dure et fatigante. Il fallut traverser les forêts de Neilruh et de La Ville, qui avoisinent Francfort. Il y eut des retards de plusieurs heures, employées à tourner les bourgades de Höchst et de Hochheim, encombrées par une colonne d’équipages militaires. Je vis le moment où notre vieille patache, attelée de son maigre bidet, allait être prise pour le transport de plusieurs quintaux de pain. Enfin, bien qu’il n’y eût qu’une quinzaine de lieues à faire depuis Francfort, nous n’atteignîmes Mayence que dans la soirée du 31. Nous étions alors sur la frontière de la Hesse-Darmstadt.

On le comprend, Mme Keller et son fils auraient eu le plus grand intérêt à éviter Mayence. Cette ville est située sur la rive gauche du Rhin, au confluent du Mein et vis à vis de Cassel, qui en est comme le faubourg et s’y relie par un pont de bateaux long de six cents pieds.

Donc, pour retrouver les routes qui descendent vers la France, il faut nécessairement franchir le Rhin, soit au-dessus, soit au-dessous de la ville, quand on ne veut pas prendre par le pont.

Nous voilà donc à la recherche d’un bac qui pût transporter M. Jean et sa mère. Ce fut inutile. Le service des bacs était interrompu par ordre de l’autorité militaire.

Il était alors huit heures du soir. Nous ne savions vraiment que devenir.

« Il faut pourtant que ma mère et moi, nous passions le Rhin ! dit Jean Keller.

— En quel endroit et comment ? répondis-je.

— Par le pont de Mayence, puisqu’il est impossible de le franchir ailleurs ! »