Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/169

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Ainsi, moins de vingt-quatre heures avant, peut-être, ce régiment avait passé en cet endroit, et maintenant il battait le pays autour de nous !

Jamais le danger n’avait été si grand pour Jean Keller. S’il était pris, son identité serait immédiatement établie, et l’exécution ne se ferait pas attendre.

Allons ! il fallait fuir au plus vite ce territoire si dangereux pour lui ! Il fallait se jeter dans le plus épais de l’Argonne, où une colonne en marche ne pourrait pénétrer ! Dussions-nous nous y cacher pendant plusieurs jours, il n’y avait pas à hésiter. C’était notre dernière chance de salut.

On marcha le reste de la journée, on marcha toute la nuit, on marcha, non ! on se traîna le jour suivant, et le 13, vers le soir, nous arrivions sur la limite de cette forêt célèbre de l’Argonne, dont Dumouriez avait dit : « Ce sont les Thermopyles de la France, mais j’y serai plus heureux que Léonidas ! »

Dumouriez devait l’être, en effet. Et c’est ainsi que des milliers d’ignorants comme moi apprirent ce que c’était que Léonidas et les Thermopyles.


XX

La forêt de l’Argonne occupe un espace de treize à quatorze lieues depuis Sedan, au nord, jusqu’au petit village de Passavant, au sud, sur une moyenne de deux à trois lieues de largeur. Elle est jetée là comme une avancée, qui couvre notre frontière de l’est avec sa ligne de massifs presque impénétrables. Les bois et les eaux s’y mélangent dans une confusion extraordinaire, au milieu des hauts et des bas de terrain, des torrents et des étangs qu’il serait impossible à une colonne de franchir.