Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/173

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défilé que je comptais suivre, mais bien un étroit sentier qui s’en rapproche et va de Briquenay à Longwé. En prenant cette route, nous traverserions l’Argonne à travers une de ses portions les plus épaisses, à l’abri des chênes, des hêtres, des charmes, des bois blancs, sorbiers, saules, des châtaigniers qui poussent sur les revers du sol moins exposés aux gelées de l’hiver. De là, une garantie de n’y point rencontrer les maraudeurs et les traînards, et d’atteindre enfin la rive gauche de l’Aisne du côté de Vouziers, où nous n’aurions plus rien à craindre.

La nuit du 13 au 14 se passa, comme d’habitude, sous le couvert des arbres.

À chaque moment pouvait apparaître le colback d’un cavalier ou le schako d’un grenadier prussien. Aussi avais-je hâte d’être au fond de la forêt, et je commençai à respirer plus à l’aise, quand, le lendemain, nous remontâmes le sentier qui conduit à Longwé, en laissant sur notre droite le village de la Croix-aux-Bois.

Cette journée fut extrêmement pénible. Le sol montueux, coupé de fondrières, embarrassé d’arbres morts, rendait la marche excessivement dure.

Si ce chemin n’était pas fréquenté et pour cause, il n’en était que plus difficile. M. de Lauranay allait d’un assez bon pas, malgré des fatigues bien grandes pour un homme de son âge. Mlle de Lauranay et ma sœur, à la pensée que nous faisions nos dernières étapes, étaient bien résolues à ne pas faiblir un instant. Mais Mme Keller était à bout. Il fallait la soutenir, sans quoi elle fût tombée à chaque pas. Et, cependant aucune plainte. Si le corps était usé, l’âme demeurait forte. Je doutais qu’il lui fût possible d’arriver au terme de notre voyage.

Le soir, on organisa la halte comme à l’ordinaire. Le sac aux provisions fournit de quoi nous réconforter à notre suffisance, la faim cédant toujours au besoin de reposer et de dormir.

Lorsque je me trouvai seul avec M. Jean, je lui parlai de l’état de sa mère, qui devenait très inquiétant.