mieux valait ne point perdre son bien, et se refaire des forces pour ne pas faiblir au dernier moment !
J’obtins même que M. Jean partageât avec moi ce maigre repas. Il comprit mes raisons et mangea un peu. Il pensait à tout autre chose. Son esprit était ailleurs, là-bas, dans la maison de Hans Stenger, avec sa mère, avec sa fiancée. Il prononçait leur nom, il les appelait ! Parfois, dans une sorte de délire, il s’élançait vers la porte comme pour aller les rejoindre ! C’était plus fort que lui. Et alors il retombait. S’il ne pleurait pas, il n’en était que plus effrayant à voir, et des larmes l’auraient soulagé. Mais non ! Et cela me déchirait le cœur.
Pendant ce temps, passaient des files de soldats, marchant sans ordre, l’arme à volonté, puis d’autres colonnes qui traversaient Longwé. Les trompettes se taisaient, les tambours aussi. L’ennemi se glissait sans bruit afin de gagner la ligne de l’Aisne. Il dut défiler là bien des milliers d’hommes. S’ils étaient Autrichiens ou Prussiens, c’est bien ce que j’aurais voulu savoir ! Du reste, plus un seul coup de feu sur le revers occidental de l’Argonne. La porte de France était grande ouverte !… On ne la défendait même plus.
Vers dix heures du soir, une escouade de soldats parut dans notre chambre. Cette fois, c’étaient des Prussiens. Et, ce qui me coupa en deux, je reconnus l’uniforme du régiment de Leib, venu à Longwé après sa rencontre avec les volontaires dans l’Argonne.
On nous fit sortir, M. Jean et moi, après nous avoir attaché les mains derrière le dos.
M. Jean s’adressa au caporal qui commandait l’escouade.
« Où nous conduit-on ? » dit-il.
Pour toute réponse, ce gueux nous mit dehors avec une bourrade. Nous avions bien l’air de pauvres diables qu’on allait exécuter sans jugement. Et, pourtant, moi, je n’avais pas été pris les armes à la main ! Mais allez donc dire cela à ces espèces de barbares ! Ils vous riraient au nez comme des uhlans !
Notre escouade suivit la rue de Longwé, qui descend vers la lisière