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nécessaire de vendre. Que deviendrait-elle après ce dernier sacrifice ? Aussi Mme Dufrenay, la vieille tante, sentant sa fin approcher, et s’effrayant de la situation dans laquelle se trouverait sa nièce, la pressait-elle de conclure.

Mlle Acloque consentit. Le mariage fut célébré à Saint-Sauflieu. Mme Keller quitta la Picardie quelques mois plus tard, et suivit son mari au delà de la frontière.

Mme Keller n’eut point à se repentir du choix qu’elle avait fait. Son mari fut bon pour elle comme elle fut bonne pour lui. Toujours prévenant, il s’attachait à ce qu’elle ne sentît pas trop qu’elle avait perdu sa nationalité. Ce mariage, tout de raison et de convenance, ne compta donc que des jours heureux, — ce qui, rare de notre temps, l’était déjà à cette époque.

Un an après, à Belzingen, où restait Mme Keller, un fils lui était né. Elle voulut se consacrer tout entière à l’éducation de cet enfant, dont il va être question dans notre histoire.

Ce fut quelque temps après la naissance de ce fils, vers 1771, que ma sœur Irma, âgée alors de dix-neuf ans, entra dans la famille Keller. Mme Keller l’avait connue toute enfant, lorsqu’elle-même n’était encore qu’une fillette. Notre père avait été quelquefois employé par M. Acloque. Sa dame et sa demoiselle s’intéressaient à sa situation. De Grattepanche à Saint-Sauflieu il n’y a pas loin. Mlle Acloque rencontrait souvent ma sœur, elle l’embrassait, elle lui faisait de petits cadeaux, elle l’avait prise en amitié — amitié que le plus pur dévouement devait reconnaître un jour.

Aussi, lorsqu’elle apprit la mort de notre père et de notre mère, qui nous laissaient presque sans ressources, Mme Keller eut-elle l’idée de faire venir Irma, qui s’était déjà louée chez une personne à Saint-Sauflieu. À quoi ma sœur consentit volontiers, et ce dont elle n’eut jamais à se repentir.

J’ai dit que M. Keller était de sang français par ses ancêtres. Voici comment :

Un peu plus d’un siècle avant, les Keller habitaient la partie fran-