Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/29

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Henri IV. De génération en génération, des rapports, des alliances même, se firent avec leurs nouveaux compatriotes, les familles se mélangèrent, si bien que ces anciens Français devinrent peu à peu des sujets allemands.

Vers 1760, un des Keller quitta la Gueldre pour aller se fixer dans la petite ville de Belzingen, au milieu de ce cercle de la Haute-Saxe, qui comprenait une partie de la Prusse. Ce Keller réussit dans son négoce, et cela lui permit d’offrir à Mlle Acloque l’aisance qu’elle ne pouvait plus trouver à Saint-Sauflieu. C’est à Belzingen même que son fils vint au monde, prussien de père, bien que, par sa mère, le sang français coulât dans ses veines.

Et, je le dis avec une émotion qui me fait encore battre le cœur, il était bien français dans l’âme, ce brave jeune homme, en qui revivait l’âme maternelle ! Mme Keller l’avait nourri de son lait. Ses premiers mots d’enfant, il les avait bégayés en français. Ce n’était pas « mama » qu’il avait dit, c’était « maman ! » Notre langage, c’était celui qu’il avait entendu d’abord, parlé ensuite, car on l’employait le plus habituellement dans la maison de Belzingen, quoique Mme Keller et ma sœur Irma eussent bientôt appris à se servir de la langue allemande.

L’enfance du petit Jean fut donc bercée aux chansons de notre pays. Son père ne songea jamais à s’y opposer. Au contraire. N’était-ce pas la langue de ses ancêtres, cette langue lorraine, si française, et dont le voisinage de la frontière germanique n’a point altéré la pureté ?

Et ce n’était pas seulement de son lait que Mme Keller avait nourri cet enfant, mais de ses propres idées, en tout ce qui touchait à la France. Elle aimait profondément son pays d’origine. Jamais elle n’avait abandonné l’espoir d’y revenir un jour. Elle ne cachait point quel bonheur ce serait pour elle de revoir sa vieille terre picarde. M. Keller n’y répugnait pas. Sans doute, fortune faite, il eût volontiers quitté l’Allemagne pour venir se fixer au pays de sa femme. Mais il lui fallait travailler quelques années encore, afin d’assurer une