Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/32

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disons, on lui faisait des difficultés de toutes sortes, et il avait dû recourir aux juges de Berlin.

Le procès traînait donc en longueur. On le sait, du reste, il ne fait pas bon plaider contre les gouvernements, dans n’importe quel État. Les juges prussiens montraient une mauvaise volonté par trop évidente. Cependant M. Keller avait rempli ses engagements avec une parfaite bonne foi, car c’était un honnête homme. Il s’agissait pour lui de vingt mille florins — une fortune à l’époque, — et la perte de ce procès serait sa ruine.

Je le répète, sans ce retard, la situation eût peut-être été réglée à Belzingen. C’était d’ailleurs le résultat que poursuivait Mme Keller depuis la mort de son mari, son plus vif désir étant de rentrer en France, et cela se comprend.

Voilà ce que me raconta ma sœur. Quant à sa position, on la devine. Irma avait élevé l’enfant presque depuis sa naissance, joignant ses soins à ceux de la mère. Elle l’aimait d’un véritable amour maternel. Aussi ne la regardait-on pas comme une servante à la maison, mais comme une compagne, une humble et modeste amie. Elle était de la famille, traitée comme telle, dévouée sans réserve à ces braves gens. Si les Keller quittaient l’Allemagne, ce serait pour elle une grande joie de les suivre. S’ils restaient à Belzingen, elle y resterait avec eux.

« Me séparer de madame Keller !… Il me semble que j’en mourrais ! » me dit-elle.

Je compris que rien ne pourrait décider ma sœur à revenir avec moi, puisque sa maîtresse était forcée de rester à Belzingen jusqu’au règlement de ses intérêts. Et, cependant, de la voir au milieu de ce pays, prêt à se lever contre le nôtre, cela ne laissait pas de me causer de grandes inquiétudes. Il y avait de quoi, car si la guerre se déclarait, ce ne serait pas pour un peu !

Puis, quand Irma eut achevé de me donner ces renseignements relatifs aux Keller :

« Tu vas rester avec nous, tout ton congé ? ajouta-t-elle.