Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/36

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de la France. Il aimait nos compatriotes, il les recherchait, il leur venait en aide. Les nouvelles qui arrivaient de là-bas, il s’occupait de les recueillir, il en faisait le sujet favori de sa conversation.

D’ailleurs, il appartenait à la classe des industriels, des commerçants, et, comme tel, il souffrait de la morgue des fonctionnaires, des militaires, comme en souffrent tous les jeunes gens, qui, voués au négoce, adonnés aux affaires, n’ont aucune attache directe avec le gouvernement.

Quel dommage que M. Jean Keller, au lieu de ne l’être qu’à moitié, ne fût pas tout entier Français ! Que voulez-vous ? Je dis ce que je pense, ce qui me vient, sans le raisonner, comme je le sens. Si je ne suis pas porté pour les Allemands, c’est que je les ai vus de près pendant mes garnisons sur la frontière. Dans les hautes classes, même quand ils sont polis, comme on doit l’être avec tout le monde, leur naturel hautain perce toujours. Je ne nie pas leurs qualités, mais les Français en ont d’autres. Et ce n’est pas ce voyage en Allemagne qui m’aura fait changer d’opinion.

À la mort de son père, M. Jean, alors étudiant à l’Université de Goetting, dut venir reprendre les affaires de la maison. Mme Keller trouva en lui un aide intelligent, actif, laborieux. Là, toutefois, ne se bornaient pas ses aptitudes. En dehors des choses du commerce, il était fort instruit, à ce que m’a dit ma sœur, car je n’aurais pu en juger par moi-même. Il aimait les livres. Il aimait la musique. Il avait une jolie voix, pas si forte que la mienne, mais plus agréable. À chacun son métier, d’ailleurs. Moi, quand je criais : « En avant !… Pas accéléré !… Halte !… » à mes hommes, — halte surtout — on ne se plaignait pas de trop m’entendre ! Revenons à M. Jean. Si je m’écoutais, je n’arrêterais pas de faire son éloge. On le verra à l’œuvre. Ce qu’il faut retenir, c’est que, depuis la mort de son père, tout le poids des affaires était retombé sur lui. Il lui fallait travailler dur, car les choses étaient assez embrouillées. Il ne tendait qu’à un but : tirer la situation au clair et cesser son commerce. Malheureusement, ce procès qu’il soutenait contre l’État ne semblait pas