Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/40

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— Deux heures le matin, deux heures le soir, cela suffira. Je vous donnerai des devoirs et vous les ferez.

— Je t’aiderai, Natalis, me dit Irma, car, moi, je sais un peu lire et écrire.

— Je le crois bien, ajouta M. Jean, elle a été la meilleure élève de ma mère ! »

Que répondre à une proposition faite d’aussi bon cœur ?

« Soit, j’accepte, monsieur Jean, j’accepte, madame Keller, et, si je ne fais pas convenablement mes devoirs, vous me mettrez en pénitence ! »

M. Jean reprit :

« Voyez-vous, mon cher Natalis, il faut qu’un homme sache lire et écrire. Songez à tout ce que doivent ignorer les pauvres gens qui n’ont point appris ! Quelle obscurité dans leur cerveau ! Quel vide dans leur intelligence ! C’est aussi malheureux que d’être privé d’un membre !

Et puis, vous ne pourriez monter en grade ? Vous voilà maréchal des logis, c’est bien, mais comment iriez-vous plus haut ? Comment deviendriez-vous lieutenant, capitaine, colonel ? Vous resteriez où vous en êtes, et il ne faut pas que l’ignorance puisse vous arrêter en route.

— Ce ne serait pas l’ignorance qui m’arrêterait, monsieur Jean, répondis-je, ce seraient les règlements. À nous autres, du peuple, il n’est pas permis d’aller au-delà de capitaine.

— Jusqu’à présent, Natalis, c’est possible. Mais la révolution de 89 a proclamé l’égalité en France, et elle fera disparaître les vieux préjugés. Chez vous, maintenant, chacun est l’égal de tous. Soyez donc l’égal de ceux qui sont instruits, pour arriver jusqu’où l’instruction peut conduire. L’égalité ! C’est un mot que l’Allemagne ne connaît pas encore ! — Est-ce dit ?

— C’est dit, monsieur Jean.

— Eh bien, nous commencerons aujourd’hui même, et, dans huit jours, vous serez à la dernière lettre de l’A, B, C. Voici le dîner fini.