Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/46

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sur le roux, yeux bleu de faïence, froids et durs, l’air bravache avec un dandinement de faraud. Malgré ses prétentions à l’élégance, on le sentait lourd. Pour mon compte, ce bellâtre m’eût inspiré de l’antipathie, même de la répulsion.

Sans doute, c’est ce qu’il inspirait à M. Jean — peut-être même plus que de la répulsion. J’observai, au surplus, que l’officier ne paraissait pas animé de meilleurs sentiments à son endroit. Le regard qu’il lui jeta ne fut rien moins que bienveillant.

Tous deux n’étaient plus qu’à quelques pas l’un de l’autre, lorsqu’ils se croisèrent. Le jeune officier fit intentionnellement un dédaigneux mouvement d’épaules au moment où il passait. La main de M. Jean me serra violemment dans une étreinte de colère. Un instant, je crus qu’il allait bondir : il parvint à se maîtriser.

Évidemment, entre ces deux hommes, il y avait une haine dont je ne soupçonnais pas la cause, mais qui ne devait pas tarder à m’être révélée.

Puis, la compagnie passa, et le bataillon se perdit au détour de la route.

M. Jean n’avait pas prononcé un mot. Il regardait les soldats s’éloigner. Il semblait qu’il fût cloué à cette place. Il y resta jusqu’à ce que le bruit des tambours eût cessé de se faire entendre.

Alors, se retournant vers moi, il me dit :

« Allons, Natalis, à l’école ! »

Et nous rentrâmes chez Mme Keller.