Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/85

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Mme Keller dit cela d’un ton si désespéré que M. Jean l’interrompit, et se précipitant vers elle :

« Ma mère !… Ma mère !… s’écria-t-il. Moi, te faire un reproche !… Serais-je assez dénaturé…

— Jean, répondit Mlle Marthe, votre mère est la mienne ! »

Mme Keller avait ouvert ses bras, et tous deux se réunirent sur son cœur.

Si le mariage n’était pas fait devant les hommes, puisque les circonstances actuelles le rendaient impossible, du moins était-il fait devant Dieu. Il n’y avait plus qu’à prendre les dernières dispositions pour partir.

Et, en effet, ce soir-là, il fut définitivement arrêté que nous quitterions Belzingen, la Prusse et cette Allemagne, où la déclaration de guerre faisait aux Français une situation intenable. La question du procès ne pouvait plus maintenant retenir la famille Keller. D’ailleurs, nul doute que l’issue en fût indéfiniment retardée, et on ne pouvait l’attendre.

Voici ce qui fut encore décidé. M. et Mlle de Lauranay, ma sœur et moi, nous reviendrions en France. À cet égard, pas d’hésitation, puisque nous étions Français. Pour Mme Keller et son fils, les convenances voulaient qu’ils restassent à l’étranger, tant que durerait cette abominable guerre. En France, ils eussent pu rencontrer des Prussiens dans le cas où notre pays aurait été envahi par les alliés. Ils résolurent donc de se réfugier dans les Pays-Bas, où ils attendraient la fin des événements. Quant à partir tous ensemble, cela allait de soi, et, lorsque nous nous séparerions, ce ne serait que sur la frontière française.

Ceci convenu, nos préparatifs nécessitant quelques jours encore, le départ fut fixé au 2 juillet.