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maître zacharius

combattre dans l’âme de maître Zacharius un insurmontable orgueil, et ils se heurtaient contre cette fierté de la science qui rapporte tout à elle, sans remonter à la source infinie d’où découlent les premiers principes.

Ce fut dans ces circonstances que la jeune fille entreprit la conversion de son père, et son influence fut si efficace, que le vieil horloger promit d’assister le dimanche suivant à la grand’messe de la cathédrale. Gérande éprouva un moment d’extase, comme si le ciel se fût entrouvert à ses yeux. La vieille Scholastique ne put contenir sa joie et eut enfin des arguments sans réplique contre les mauvaises langues qui accusaient son maître d’impiété. Elle en parla à ses voisines, à ses amies, à ses ennemies, à qui la connaissait comme à qui ne la connaissait point.

« Ma foi, nous ne croyons guère à ce que vous nous annoncez, dame Scholastique, lui répondit-on. Maître Zacharius a toujours agi de concert avec le diable !

— Vous n’avez donc pas compté, reprenait la bonne femme, les beaux clochers où battent les horloges de mon maître ? Combien de fois a-t-il fait sonner l’heure de la prière et de la messe !

— Sans doute, lui répondait-on. Mais n’a-t-il pas inventé des machines qui marchent toutes seules et qui parviennent à faire l’ouvrage d’un homme véritable ?

— Est-ce que des enfants du démon, reprenait dame Scholastique en colère, auraient pu exécuter cette belle horloge de fer du château d’Andernatt, que la ville de Genève n’a pas été assez riche pour acheter ? À chaque heure apparaissait une belle devise, et un chrétien qui s’y serait conformé aurait été tout droit en paradis ! Est-ce donc là le travail du diable ? »

Ce chef-d’œuvre, fabriqué vingt ans auparavant, avait effectivement porté aux nues la gloire de maître Zacharius ; mais, à cette occasion même, les accusations de sorcellerie avaient été générales. Au surplus, le retour du vieillard à l’église de Saint-Pierre devait réduire les méchantes langues au silence.

Maître Zacharius, sans se souvenir sans doute de cette promesse faite à sa fille, était retourné à son atelier. Après avoir vu son impuissance à rendre la vie à ses montres, il résolut de tenter s’il ne pourrait en fabriquer de nouvelles. Il abandonna tous ces corps inertes et se remit à terminer la montre de cristal qui devait être son chef-d’œuvre ; mais il eut beau faire, se servir de ses outils les plus parfaits, employer le rubis et le diamant propres à résister aux frottements, la montre lui éclata entre les mains la première fois qu’il voulut la monter !