elles voguent dans un équilibre parfait ; mais en arrivant dans l’Océan, où l’eau est relativement plus chaude, elles ne tardent pas à se miner à leur base, qui se fond peu à peu et qui d’ailleurs est ébranlée par le choc des autres glaçons. Il vient donc un moment où le centre de gravité de ces masses se trouve déplacé, et alors elles culbutent entièrement. Seulement, si ce bloc se fût retourné deux minutes plus tard, il se précipitait sur le brick et l’effondrait dans sa chute.
V
l’île liverpool
Le brick voguait alors dans une mer presque entièrement libre. À l’horizon seulement, une lueur blanchâtre, sans mouvement cette fois, indiquait la présence de plaines immobiles.
Jean Cornbutte se dirigeait toujours sur le cap Brewster, et s’approchait déjà des régions où la température est excessivement froide, car les rayons du soleil n’y arrivent que très-affaiblis par leur obliquité.
Le 3 août, le brick se retrouva en présence de glaces immobiles et unies entre elles. Les passes n’avaient souvent qu’une encâblure de largeur, et la Jeune-Hardie était forcée de faire mille détours qui la présentaient parfois debout au vent.
Penellan s’occupait avec un soin paternel de Marie, et, malgré le froid, il l’obligeait à venir tous les jours passer deux ou trois heures sur le pont, car l’exercice devenait une des conditions indispensables de la santé.
Le courage de Marie, d’ailleurs, ne faiblissait pas. Elle réconfortait même les matelots du brick par ses paroles, et tous éprouvaient pour elle une véritable adoration. André Vasling se montrait plus empressé que jamais, et il recherchait toutes les occasions de s’entretenir avec elle ; mais la jeune fille, par une sorte de pressentiment, n’accueillait ses services qu’avec une certaine froideur. On comprend aisément que l’avenir, bien plus que le présent, était l’objet des conversations d’André Vasling, et qu’il ne cachait pas le peu de probabilités qu’offrait le sauvetage des naufragés. Dans sa pensée, leur perte était maintenant un fait accompli, et la jeune fille devait dès lors remettre entre les mains de quelque autre le soin de son existence.