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Page:Verne - Le Docteur Ox.djvu/216

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quarantième ascension française.

deux autres. Pour moi, j’opinais pour la deuxième, qui passe par la Bosse-du-Dromadaire ; mais elle fut jugée trop dangereuse, et il fut décidé que nous attaquerions le mur de glace qui conduit au sommet du Corridor.

Quand une décision est prise, le mieux est de l’exécuter sans retard. Nous traversons donc le Grand-Plateau et nous arrivons au pied de cet obstacle vraiment effrayant.

Plus nous avançons, plus son inclinaison semble se rapprocher de la verticale. En outre, plusieurs crevasses que nous n’avions pas aperçues s’ouvrent à ses pieds.

Nous commençons néanmoins cette difficile ascension. Le premier guide de tête ébauche les marches, le second les achève. Nous faisons deux pas par minute. Plus nous montons, plus l’inclinaison augmente. Nos guides eux-mêmes se consultent sur la route à suivre ; ils parlent en patois et ne sont pas toujours d’accord, ce qui n’est pas bon signe. Enfin, l’inclinaison devient telle que le bord de nos chapeaux touche les mollets du guide qui nous précède. Une mitraille de morceaux de glace produite par la taille des pas nous aveugle et rend notre position encore plus pénible. Alors, m’adressant à nos guides de tête :

« Ah ça, leur dis-je, c’est très-bien de monter par là ! Cela n’est pas une grande route, j’en conviens, mais c’est encore praticable. Seulement, par où nous ferez-vous redescendre ?

— Oh ! monsieur, me répondit Ambroise Ravanel, au retour, nous prendrons un autre chemin. »

Enfin, après deux heures de violents efforts, et après avoir taillé plus de quatre cents marches dans cette montée effrayante, nous arrivons à bout de forces au sommet du Corridor.

Nous traversons alors un plateau de neige légèrement incliné, et nous côtoyons une immense crevasse qui nous barre la route. À peine l’avons-nous tournée qu’un cri d’admiration s’échappe de nos poitrines. À droite le Piémont et les plaines de la Lombardie sont à nos pieds. À gauche, les massifs des Alpes Pennines et de l’Oberland, couronnés de neige, élèvent leurs cimes incomparables. Le mont Rose et le Cervin seuls, nous dominent encore, mais bientôt nous les dominerons à notre tour.

Cette réflexion nous ramène au but de notre expédition. Nous tournons nos regards vers le mont Blanc et nous restons stupéfaits.

« Dieu ! qu’il est encore loin ! s’écrie Levesque.

— Et haut ! » ajoutai-je.

C’était en effet désespérant. Le fameux mur de la côte, si redouté, qu’il