Page:Verne - Le Docteur Ox.djvu/44

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l’habitude de se tenir silencieux, les uns lisant leur journal, les autres échangeant quelques mots à voix basse, ceux-ci gagnant leur place sans bruit et sans hâte, ceux-là jetant un regard à demi éteint vers les beautés aimables qui garnissaient les galeries.

Mais, ce soir-là, un observateur eût constaté que, même avant le lever du rideau, une animation inaccoutumée régnait dans la salle. On voyait remuer des gens qui ne remuaient jamais. Les éventails des dames s’agitaient avec une rapidité anormale. Un air plus vivace semblait avoir envahi toutes ces poitrines. On respirait plus largement. Quelques regards brillaient, et, s’il faut le dire, presque à l’égal des flammes du lustre, qui semblaient jeter sur la salle un éclat inaccoutumé. Vraiment, on y voyait plus clair que d’habitude, bien que l’éclairage n’eût point été augmenté. Ah ! si les appareils nouveaux du docteur Ox eussent fonctionné ! mais ils ne fonctionnaient pas encore.

Enfin, l’orchestre est à son poste, au grand complet. Le premier violon a passé entre les pupitres pour donner un la modeste à ses collègues. Les instruments à corde, les instruments à vent, les instruments à percussion sont d’accord. Le chef d’orchestre n’attend plus que le coup de sonnette pour battre la première mesure.

La sonnette retentit. Le quatrième acte commence. L’allegro appassionato de l’entracte est joué suivant l’habitude, avec une lenteur majestueuse, qui eût fait bondir l’illustre Meyerbeer, et dont les dilettanti Quiquendoniens apprécient toute la majesté.

Mais bientôt le chef d’orchestre ne se sent plus maître de ses exécutants. Il a quelque peine à les retenir, eux si obéissants, si calmes d’ordinaire. Les instruments à vent ont une tendance à presser les mouvements, et il faut les refréner d’une main ferme, car ils prendraient l’avance sur les instruments à cordes, ce qui, au point de vue harmonique, produirait un effet regrettable. Le basson lui-même, le fils du pharmacien Josse Liefrinck, un jeune homme si bien élevé, tend à s’emporter.

Cependant Valentine a commencé son récitatif :

Je suis seule chez moi…


mais elle presse. Le chef d’orchestre et tous ses musiciens la suivent — peut-être à leur insu — dans son cantabile, qui devrait être battu largement, comme un douze-huit qu’il est. Lorsque Raoul paraît à la porte du fond, entre le moment où Valentine va à lui et le moment où elle le cache dans la chambre à côté, il ne se passe pas un quart d’heure, tandis qu’autrefois, selon la tradition du théâtre