Page:Verne - Le Docteur Ox.djvu/69

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Nous sommes venus, répondit Niklausse, respirer cet air pur que n’ont pas vicié les faiblesses humaines.

— Eh bien, redescendons-nous, ami Niklausse ?

— Redescendons, ami van Tricasse. »

Les deux notables donnèrent un dernier coup d’œil au splendide panorama qui se déroulait sous leurs yeux ; puis le bourgmestre passa le premier et commença à descendre d’un pas lent et mesuré. Le conseiller le suivait, à quelques marches derrière lui. Les deux notables arrivèrent au palier sur lequel ils s’étaient arrêtés en montant. Déjà leurs joues commençaient à s’empourprer. Ils s’arrêtèrent un instant et reprirent leur descente interrompue.

Au bout d’une minute, van Tricasse pria Niklausse de modérer ses pas, attendu qu’il le sentait sur ses talons et que « cela le gênait ».

Cela même fit plus que de le gêner, car, vingt marches plus bas, il ordonna au conseiller de s’arrêter, afin qu’il pût prendre quelque avance.

Le conseiller répondit qu’il n’avait pas envie de rester une jambe en l’air à attendre le bon plaisir du bourgmestre, et il continua.

Van Tricasse répondit par une parole assez dure.

Le conseiller riposta par une allusion blessante sur l’âge du bourgmestre, destiné, par ses traditions de famille, à convoler en secondes noces.

Le bourgmestre descendit vingt marches encore, en prévenant nettement Niklausse que cela ne se passerait pas ainsi.

Niklausse répliqua qu’en tout cas, lui, passerait devant, et, l’escalier étant fort étroit, il y eut collision entre les deux notables, qui se trouvaient alors dans une profonde obscurité.

Les mots de butors et de mal-appris furent les plus doux de ceux qui s’échangèrent alors.

« Nous verrons, sotte bête, criait le bourgmestre, nous verrons quelle figure vous ferez dans cette guerre et à quel rang vous marcherez !

— Au rang qui précédera le vôtre, sot imbécile ! » répondait Niklausse.

Puis, ce furent d’autres cris, et l’on eût dit que des corps roulaient ensemble…

Que se passa-t-il ? Pourquoi ces dispositions si rapidement changées ? Pourquoi les moutons de la plate-forme se métamorphosaient-ils en tigres deux cents pieds plus bas ?

Quoi qu’il en soit, le gardien de la tour, entendant un tel tapage, vint ouvrir la porte inférieure, juste au moment où les adversaires, contusionnés, les yeux hors de la tête, s’arrachaient réciproquement leurs cheveux, qui, heureusement, formaient perruque.