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Page:Verne - Le Docteur Ox.djvu/83

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maître zacharius

Puis, ces trois dévotes personnes se relevèrent avec quelque confiance au cœur, car elles avaient remis leur peine dans le sein de Dieu.

Aubert regagna sa chambre, Gérande s’assit toute pensive près de sa fenêtre, pendant que les dernières lueurs s’éteignaient dans la ville de Genève, et Scholastique, après avoir versé un peu d’eau sur les tisons embrasés et poussé les deux énormes verrous de la porte, se jeta sur son lit, où elle ne tarda pas à rêver qu’elle mourait de peur.

Cependant, l’horreur de cette nuit d’hiver avait augmenté. Parfois, avec les tourbillons du fleuve, le vent s’engouffrait sous les pilotis, et la maison frissonnait tout entière ; mais la jeune fille, absorbée par sa tristesse, ne songeait qu’à son père. Depuis les paroles d’Aubert Thün, la maladie de maître Zacharius avait pris à ses yeux des proportions fantastiques, et il lui semblait que cette chère existence, devenue purement mécanique, ne se mouvait plus qu’avec effort sur ses pivots usés.

Soudain l’abat-vent, violemment poussé par la rafale, heurta la fenêtre de la chambre. Gérande tressaillit et se leva brusquement, sans comprendre la cause de ce bruit qui secoua sa torpeur. Dès que son émotion se fut calmée, elle ouvrit le châssis. Les nuages avaient crevé, et une pluie torrentielle crépitait sur les toitures environnantes. La jeune fille se pencha au dehors pour attirer le volet ballotté par le vent, mais elle eut peur. Il lui parut que la pluie et le fleuve, confondant leurs eaux tumultueuses, submergeaient cette fragile maison dont les ais craquaient de toutes parts. Elle voulut fuir sa chambre ; mais elle aperçut au-dessous d’elle la réverbération d’une lumière qui devait venir du réduit de maître Zacharius, et dans un de ces calmes momentanés pendant lesquels se taisent les éléments, son oreille fut frappée par des sons plaintifs. Elle tenta de refermer sa fenêtre et ne put y parvenir. Le vent la repoussait avec violence, comme un malfaiteur qui s’introduit dans une habitation.

Gérande pensa devenir folle de terreur ! Que faisait donc son père ? Elle ouvrit la porte, qui lui échappa des mains et battit bruyamment sous l’effort de la tempête. Gérande se trouva alors dans la salle obscure du souper, parvint, en tâtonnant, à gagner l’escalier qui aboutissait à l’atelier de maître Zacharius, et s’y laissa glisser, pâle et mourante.

Le vieil horloger était debout au milieu de cette chambre que remplissaient les mugissements du fleuve. Ses cheveux hérissés lui donnaient un aspect sinistre. Il parlait, il gesticulait, sans voir, sans entendre ! Gérande demeura sur le seuil.

« C’est la mort ! disait maître Zacharius d’une voix sourde, c’est la mort !…