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Page:Verne - Le Docteur Ox.djvu/93

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maître zacharius

Quel âge avait cet être singulier ? Personne n’eût pu le dire ! On devinait qu’il devait exister depuis un grand nombre de siècles, mais voilà tout. Sa grosse tête écrasée reposait sur des épaules dont la largeur égalait la hauteur de son corps, qui ne dépassait pas trois pieds. Ce personnage eût fait bonne figure sur un support de pendule, car le cadran se fût naturellement placé sur sa face, et le balancier aurait oscillé à son aise dans sa poitrine. On eût volontiers pris son nez pour le style d’un cadran solaire, tant il était mince et aigu ; ses dents, écartées et à surface épicycloïque, ressemblaient aux engrenages d’une roue et grinçaient entre ses lèvres ; sa voix avait le son métallique d’un timbre, et l’on pouvait entendre son cœur battre comme le tic-tac d’une horloge. Ce petit homme, dont les bras se mouvaient à la manière des aiguilles sur un cadran, marchait par saccades, sans se retourner jamais. Le suivait-on, on trouvait qu’il faisait une lieue par heure et que sa marche était à peu près circulaire.

Il y avait peu de temps que cet être bizarre errait ainsi, ou plutôt tournait par la ville ; mais on avait pu observer déjà que chaque jour, au moment où le soleil passait au méridien, il s’arrêtait devant la cathédrale de Saint Pierre, et qu’il reprenait sa route après les douze coups de midi. Hormis ce moment précis, il semblait surgir dans toutes les conversations où l’on s’occupait du vieil horloger, et l’on se demandait, avec effroi, quel rapport pouvait exister entre lui et maître Zacharius. Au surplus, on remarquait qu’il ne perdait pas de vue le vieillard et sa fille pendant leurs promenades.

Un jour, sur la Treille, Gérande aperçut ce monstre qui la regardait en riant. Elle se pressa contre son père, avec un mouvement d’effroi.

« Qu’as-tu, ma Gérande ? demanda maître Zacharius.

— Je ne sais, répondit la jeune fille.

— Je te trouve changée, mon enfant ! dit le vieil horloger. Voilà donc que tu vas tomber malade à ton tour ? Eh bien ! ajouta-t-il avec un triste sourire, il faudra que je te soigne, et je te soignerai bien.

— Oh ! mon père, ce ne sera rien. J’ai froid, et j’imagine que c’est…

— Eh quoi, Gérande ?

— La présence de cet homme qui nous suit sans cesse, » répondit-elle à voix basse.

Maître Zacharius se retourna vers le petit vieillard.

« Ma foi, il va bien, dit-il avec un air de satisfaction, car il est justement quatre heures. Ne crains rien, ma fille, ce n’est pas un homme, c’est une horloge ! »

Gérande regarda son père avec terreur. Comment maître Zacharius avait-il pu lire l’heure sur le visage de cette étrange créature ?