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le tour de l’île.

— Eh bien, maintenant, dit le lieutenant Hobson, je m’explique leurs hochements de tête. Ces Esquimaux, par tradition, par expérience, enfin par une raison quelconque, connaissaient la nature et l’origine de la presqu’île Victoria. Ils savaient que nous n’avions pas bâti sur un terrain solide. Mais, sans doute, les choses étant ainsi depuis des siècles, ils n’ont pas cru le danger imminent, et c’est pourquoi ils ne se sont pas expliqués d’une façon plus catégorique.

— Cela doit être, monsieur Hobson, répondit Mrs. Paulina Barnett, mais très certainement Kalumah ignorait ce que soupçonnaient ses compagnons, car, si elle l’avait su, la pauvre enfant n’aurait pas hésité à nous l’apprendre. »

Sur ce point, le lieutenant Hobson partagea l’opinion de Mrs. Paulina Barnett.

« Il faut avouer que c’est une bien grande fatalité, dit alors le sergent, que nous soyons venus nous installer sur cette presqu’île, précisément à l’époque où elle allait se détacher du continent pour courir les mers ! Car enfin, mon lieutenant, il y avait longtemps, bien longtemps que les choses étaient en cet état ! Des siècles peut-être !

— Vous pouvez dire des milliers et des milliers d’années, sergent Long, répondit Jasper Hobson. Songez donc que la terre végétale que nous foulons en ce moment a été apportée par les vents parcelle par parcelle, que ce sable a volé jusqu’ici grain à grain ! Pensez au temps qu’il a fallu à ces semences de sapins, de bouleaux, d’arbousiers pour se multiplier, pour devenir des arbrisseaux et des arbres ! Peut-être ce glaçon qui nous porte était-il formé et soudé au continent avant même l’apparition de l’homme sur la terre !

— Eh bien, s’écria le sergent Long, il aurait bien dû attendre encore quelques siècles avant de s’en aller à la dérive, ce glaçon capricieux ! Cela nous eût épargné bien des inquiétudes et, peut-être, bien des dangers ! »

Cette très juste réflexion du sergent Long termina la conversation, et on se remit en route.

Depuis le cap Esquimau jusqu’à la baie des Morses, la côte courait à peu près nord et sud, suivant la projection du cent vingt-septième méridien. En arrière, on apercevait, à une distance de quatre à cinq milles, l’extrémité pointue du lagon, qui réverbérait les rayons du soleil, et un peu au-delà, les dernières rampes boisées dont la verdure encadrait ses eaux. Quelques aigles-siffleurs passaient dans l’air avec de grands battements d’aile. De nombreux animaux à fourrures, des martres, des visons, des hermines, tapis derrière quelques excroissances sablonneuses ou cachés entre les maigres buissons d’arbousiers et de saules, regardaient les voyageurs. Ils