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le pays des fourrures.

Des oiseaux nombreux, ptarmigans, guillemots, puffins, des oies sauvages, des canards de toutes espèces, voletaient par bandes et animaient le littoral. L’air était rempli du cri de ces volatiles, qui couraient incessamment du lagon à la mer, suivant que les eaux douces ou les eaux salées les attiraient.

Mrs. Paulina Barnett put observer alors combien les animaux à fourrures, martres, hermines, rats musqués, renards, étaient nombreux aux environs du fort Espérance. La factorerie eût pu sans peine remplir ses magasins. Mais à quoi bon, maintenant ! Ces animaux inoffensifs, comprenant qu’on ne les chasserait pas, allaient, venaient sans crainte jusqu’au pied même de la palissade et se familiarisaient de plus en plus. Sans doute, leur instinct leur avait appris qu’ils étaient prisonniers dans cette île, prisonniers comme ses habitants, et un sort commun les rapprochait. Mais chose assez singulière et que Mrs. Paulina Barnett avait parfaitement remarquée, c’est que Marbre et Sabine, ces deux enragés chasseurs, obéissaient sans aucune contrainte aux ordres du lieutenant qui leur avait prescrit d’épargner absolument les animaux à fourrures, et ils ne semblaient pas éprouver le moindre désir de saluer d’un coup de fusil ce précieux gibier. Renards et autres n’avaient pas encore, il est vrai, leur robe hivernale, ce qui en diminuait notablement la valeur, mais ce motif ne suffisait pas à expliquer l’extraordinaire indifférence des deux chasseurs à leur endroit.

Cependant, tout en marchant d’un bon pas, Mrs. Paulina Barnett et Madge, causant de leur étrange situation, observaient attentivement la lisière de sable qui formait le rivage. Les dégâts que la mer y avait causés récemment étaient très visibles. Des éboulis nouvellement faits laissaient voir çà et là des cassures neuves, parfaitement reconnaissables. La grève, rongée en certaines places, s’était même abaissée dans une inquiétante proportion, et, maintenant, les longues lames s’étendaient là où le rivage accore leur opposait autrefois une insurmontable barrière. Il était évident que quelques portions de l’île s’étaient enfoncées et ne faisaient plus qu’affleurer le niveau moyen de l’Océan.

« Ma bonne Madge, dit Mrs. Paulina Barnett, en montrant à sa compagne de vastes étendues du sol sur lesquelles les vagues couraient en déferlant, notre situation a empiré pendant cette funeste tempête ! Il est certain que le niveau général de l’île s’abaisse peu à peu ! Notre salut n’est plus, désormais, qu’une question de temps ! L’hiver arrivera-t-il assez vite ? Tout est là !

— L’hiver arrivera, ma fille, répondit Madge avec son inébranlable confiance. Voici déjà deux nuits que la neige tombe. Le froid commence à