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le pays des fourrures.

eux, aller chercher dans les régions méridionales leurs retraites accoutumées de l’hiver. Déjà, à cette époque de l’année, après que les premiers jours de septembre s’étaient écoulés, les rennes, les lièvres polaires, les loups eux-mêmes, auraient dû abandonner les environs du cap Bathurst, et se réfugier du côté du lac du Grand-Ours ou du lac de l’Esclave, bien au-dessous du Cercle polaire. Mais cette fois, la mer leur opposait une infranchissable barrière, et ils devaient attendre qu’elle se fût solidifiée par le froid, afin d’aller retrouver des régions plus habitables. Sans doute, ces animaux, poussés par leur instinct, avaient essayé de reprendre les routes du sud, mais, arrêtés au littoral de l’île, ils étaient, par instinct aussi, revenus aux approches du fort Espérance, près de ces hommes, prisonniers comme eux, près de ces chasseurs, leurs plus redoutables ennemis d’autrefois.

Le 5, le 6, le 7, le 8 et le 9 septembre, après observation, on ne constata aucune modification dans la position de l’île Victoria. Ce vaste remous, situé entre les deux courants, dont elle n’avait point abandonné les eaux, la tenait stationnaire. Encore quinze jours, trois semaines au plus de ce statu quo, et le lieutenant Hobson pourrait se croire sauvé.

Mais la mauvaise chance ne s’était pas encore lassée, et bien d’autres épreuves surhumaines, on peut le dire, attendaient encore les habitants du fort Espérance !

En effet, le 10 septembre, le point constata un déplacement de l’île Victoria. Ce déplacement, peu rapide jusqu’alors, s’opérait dans le sens du nord.

Jasper Hobson fut atterré ! L’île était définitivement prise par le courant du Kamtchatka ! Elle dérivait du côté de ces parages inconnus où se forment les banquises ! Elle s’en allait vers ces solitudes de la mer polaire, interdites aux investigations de l’homme, vers les régions dont on ne revient pas !

Le lieutenant Hobson ne cacha point ce nouveau danger à ceux qui étaient dans le secret de la situation. Mrs. Paulina Barnett, Madge, Kalumah, aussi bien que le sergent Long, reçurent ce nouveau coup avec résignation.

« Peut-être, dit la voyageuse, l’île s’arrêtera-t-elle encore ! Peut-être son mouvement sera-t-il lent ! Espérons toujours… et attendons ! L’hiver n’est pas loin, et, d’ailleurs, nous allons au-devant de lui. En tout cas, que la volonté de Dieu s’accomplisse !

— Mes amis, demanda le lieutenant Hobson, pensez-vous que je doive prévenir nos compagnons ? Vous voyez dans quelle situation nous sommes, et ce qui peut nous arriver ! N’est-ce pas assumer une responsabilité trop grande que de leur cacher les périls dont ils sont menacés ?