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le pays des fourrures.

aux roulements du tonnerre. Il se faisait une pression dans les glaces du nord qui s’accumulaient sur le littoral de l’île. On pouvait craindre que le cap lui-même — qui n’était après tout qu’une sorte d’iceberg, coiffé de terre et de sable, — ne fût jeté à bas. Quelques gros glaçons, malgré leur poids, furent chassés jusqu’au pied même de l’enceinte palissadée. Très heureusement pour la factorerie, le cap tint bon et préserva ses bâtiments d’un écrasement complet.

On comprend bien que la position de l’île Victoria, à l’ouvert d’un détroit resserré, vers lequel s’accumulaient les glaces, était excessivement périlleuse. Elle pouvait être balayée par une sorte d’avalanche horizontale, si l’on peut s’exprimer ainsi, être écrasée par les glaçons poussés du large, avant même de s’abîmer dans les flots. C’était un nouveau danger, ajouté à tant d’autres. Mrs. Paulina Barnett, voyant la force prodigieuse de la poussée du large, et l’irrésistible violence avec laquelle ces blocs s’entassaient, comprit bien quel nouveau péril menacerait l’île à la débâcle prochaine. Elle en parla plusieurs fois au lieutenant Hobson, et celui-ci secoua la tête en homme qui n’a pas de réponse à faire.

La bourrasque tomba complètement vers les premiers jours de mars, et l’on put voir alors combien l’aspect du champ s’était modifié. Il semblait, en effet, que, par une sorte de glissement à la surface de l’icefield, la banquise se fût rapprochée de l’île Victoria. En de certains points, elle n’en était pas distante de plus de deux milles, et se comportait comme les glaciers qui se déplacent, avec cette différence qu’elle marchait, tandis que ceux-ci descendent. Entre la haute barrière et le littoral, le sol, ou plutôt le champ de glace, affreusement convulsionné, hérissé d’hummocks, d’aiguilles rompues, de tronçons renversés, de pyramidions culbutés, houleux comme une mer qui se fût subitement figée au plus fort d’une tempête, n’était plus reconnaissable. On eût dit les ruines d’une ville immense, dont pas un monument ne serait resté debout. Seule, la haute banquise, étrangement profilée, découpant sur le ciel ses cônes, ses ballons, ses crêtes fantaisistes, ses pics aigus, se tenait solidement, et encadrait superbement ce fouillis pittoresque.

À cette date, l’embarcation fut entièrement terminée. Cette chaloupe était de forme un peu grossière, comme on devait s’y attendre, mais elle faisait honneur à Mac Nap, et, avec son avant en forme de galiote, elle devait mieux résister au choc des glaces. On eût dit une de ces barques hollandaises qui s’aventurent dans les mers du Nord. Son gréement, qui était achevé, se composait, comme celui d’un cutter, d’une brigantine et d’un foc, supportés sur un seul mât. Les toiles à tente de la factorerie avaient été utilisées pour la voilure.