Page:Verne - Le Pays des fourrures.djvu/366

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
356
le pays des fourrures.

l’une ou de l’autre côte, que rien ne pourrait les empêcher d’y atterrir en quelques jours.

Cette perspective ranima le cœur et l’esprit des hiverneurs. Ils retrouvèrent cette gaieté naturelle que les dures épreuves avaient chassée depuis longtemps. Les repas redevinrent joyeux, d’autant plus que les provisions ne manquaient pas, et que le programme nouveau n’en prescrivait pas l’économie. Au contraire. Puis, l’influence du printemps se faisait sentir, et chacun aspirait avec une véritable ivresse les brises plus tièdes qu’il apportait.

Pendant les jours suivants, plusieurs excursions furent faites à l’intérieur de l’île et sur le littoral. Ni les animaux à fourrures, ni les ruminants, ni les carnassiers ne pouvaient songer maintenant à l’abandonner, puisque le champ de glace qui l’emprisonnait, détaché de la côte américaine — ce que prouvait son mouvement de dérive, — ne leur eût pas permis de mettre pied sur le continent.

Aucun changement ne s’était produit sur l’île, ni au cap Esquimau, ni au cap Michel, ni sur aucune autre partie du littoral. Rien à l’intérieur, ni dans les bois taillis, ni sur les bords du lagon. La grande entaille, qui s’était creusée pendant la tempête aux environs du cap Michel, s’était entièrement refermée pendant l’hiver, et aucune autre fissure ne se manifestait à la surface du sol.

Pendant ces excursions, on aperçut des bandes de loups qui parcouraient à grand train les diverses portions de l’île. De toute la faune, ces farouches carnassiers étaient les seuls que le sentiment d’un danger commun n’eût pas familiarisés.

On revit plusieurs fois le sauveur de Kalumah. Ce digne ours se promenait mélancoliquement sur les plaines désertes, et s’arrêtait quand les explorateurs venaient à passer. Quelquefois même, il les suivait jusqu’au fort, sachant bien qu’il n’avait rien à craindre de ces braves gens qui ne pouvaient lui en vouloir.

Le 20 avril, le lieutenant Hobson constata que l’île errante n’avait point suspendu son mouvement de dérive vers le sud. Ce qui restait de la banquise, c’est-à-dire les icebergs de sa partie sud, la suivaient dans son déplacement, mais les points de repère manquaient, et on ne pouvait reconnaître ces changements de position que par les observations astronomiques.

Jasper Hobson fit alors faire plusieurs sondages en quelques endroits du sol, notamment au pied du cap Bathurst et sur les rives du lagon. Il voulait connaître quelle était l’épaisseur de la croûte de glace qui supportait la terre végétale. Il fut constaté que cette épaisseur ne s’était pas