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le pays des fourrures.

pu trouver quelque sommeil en songeant qu’à tout instant l’abîme pouvait s’ouvrir, qui, si ce n’est ce petit enfant qui souriait à sa mère, et que sa mère ne voulait plus abandonner un instant ?

Le lendemain, 4 juin, le soleil reparut au-dessus de l’horizon dans un ciel sans nuages. Aucun changement ne s’était produit pendant la nuit. La conformation de l’îlot n’avait point été altérée.

Ce jour-là, un renard bleu, effaré, se réfugia dans le logement et n’en voulut plus sortir. On peut dire que les martres, les hermines, les lièvres polaires, les rats musqués, les castors fourmillaient sur l’emplacement de l’ancienne factorerie. C’était comme un troupeau d’animaux domestiques. Les bandes de loups manquaient seules à la faune polaire. Ces carnassiers, dispersés sur la partie opposée de l’île au moment de la rupture, avaient été évidemment engloutis avec elle. Comme par un pressentiment, l’ours ne s’éloignait plus du cap Bathurst, et les animaux à fourrures, trop inquiets, ne semblaient même pas s’apercevoir de sa présence. Les naufragés eux-mêmes, familiarisés avec le gigantesque animal, le laissaient aller et venir, sans s’en préoccuper. Le danger commun, pressenti de tous, avait mis au même niveau les instincts et les intelligences.

Quelques moments avant midi, les naufragés éprouvèrent une émotion bien vive, qui ne devait aboutir qu’à une déception.

Le chasseur Sabine, monté sur le point culminant de l’îlot, et qui observait la mer depuis quelques instants, fit entendre ces cris :

« Un navire ! un navire ! »

Tous, comme s’ils eussent été galvanisés, se précipitèrent vers le chasseur. Le lieutenant Hobson l’interrogeait du regard.

Sabine montra dans l’est une sorte de vapeur blanche qui pointait à l’horizon. Chacun regarda sans oser prononcer une parole, et chacun vit ce navire dont la silhouette s’accentuait de plus en plus.

C’était bien un bâtiment, un baleinier sans doute. On ne pouvait s’y tromper, et, au bout d’une heure, sa carène était visible.

Malheureusement, ce navire apparaissait dans l’est, c’est-à-dire à l’opposé du point où le radeau entraîné avait dû se diriger. Ce baleinier, le hasard seul l’envoyait dans ces parages, et, puisqu’il n’avait point communiqué avec le radeau, on ne pouvait admettre qu’il fût à la recherche des naufragés, ni qu’il soupçonnât leur présence.

Maintenant, ce navire apercevrait-il l’îlot, peu élevé au-dessus de la surface de la mer ? Sa direction l’en rapprocherait-il ? Distinguerait-il les signaux qui lui seraient faits ? En plein jour, et par ce beau soleil, c’était peu probable. La nuit, en brûlant les quelques planches du logement, on