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le pays des fourrures.

furent aperçus et dépistés, mais ils se tenaient toujours à bonne distance. En tout cas, il était certain que, pendant la saison rigoureuse, ces animaux affamés, venant de plus hautes latitudes, devaient fréquenter assidûment les rivages de la mer Glaciale.

« Or, disait le caporal Joliffe, que cette question des approvisionnements préoccupait sans cesse, quand l’ours est dans le garde-manger, c’est un genre de venaison qui n’est point à dédaigner, tant s’en faut. Mais, quand il n’y est pas encore, c’est un gibier fort problématique, très sujet à caution, et qui, en tout cas, ne demande qu’à vous faire subir, à vous chasseurs, le sort que vous lui réservez ! »

On ne saurait parler plus sagement. Les ours ne pouvaient offrir une réserve assurée à l’office des forts. Très heureusement, ce territoire était visité par des bandes nombreuses d’animaux plus utiles que les ours, excellents à manger, et dont les Esquimaux et les Indiens font, dans certaines tribus, leur principale nourriture. Ce sont les rennes, et le caporal Joliffe constata avec une évidente satisfaction que ces ruminants abondaient sur cette partie du littoral. Et en effet, la nature avait tout fait pour les y attirer, en prodiguant sur le sol cette espèce de lichen dont le renne se montre extrêmement friand, qu’il sait adroitement déterrer sous la neige, et qui constitue son unique alimentation pendant l’hiver.

Jasper Hobson fut non moins satisfait que le caporal en relevant, sur maint endroit, les empreintes laissées par ces ruminants, empreintes aisément reconnaissables, parce que le sabot des rennes, au lieu de correspondre à sa face interne par une surface plane, y correspond par une surface convexe, — disposition analogue à celle du pied du chameau. On vit même des troupeaux assez considérables de ces animaux qui, errant à l’état sauvage dans certaines parties de l’Amérique, se réunissent souvent à plusieurs milliers de têtes. Vivants, ils se laissent aisément domestiquer et rendent alors de grands services aux factoreries, soit en fournissant un lait excellent et plus substantiel que celui de la vache, soit en servant à tirer les traîneaux. Morts, ils ne sont pas moins utiles, car leur peau, très épaisse, est propre à faire des vêtements ; leurs poils donnent un fil excellent ; leur chair est savoureuse, et il n’existe pas un animal plus précieux sous ces latitudes. La présence des rennes, étant dûment constatée, devait donc encourager Jasper Hobson dans ses projets d’établissement sur un point de ce territoire.

Il eut également lieu d’être satisfait à propos des animaux à fourrure. Sur les petits cours d’eau s’élevaient de nombreuses huttes de castors et de rats musqués. Les blaireaux, les lynx, les hermines, les wolvérènes, les martres, les visons, fréquentaient ces parages, que l’absence des chasseurs