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LE SECRET DE WILHELM STORITZ.

Une seule lumière brillait à cinq cents pas sur la gauche, la lumière à peine visible qui s’échappait du belvédère de la maison, Storitz.

Dès que nous fûmes rentrés dans la galerie, nous ne pûmes répondre à ceux des invités qui nous interrogeaient qu’en donnant le signal de la valse.

C’est ce que fit le capitaine Haralan, et les groupes aussitôt se reformèrent.

« Eh bien, me demanda Myra en riant, vous n’avez pas choisi votre valseuse ?

— Ma valseuse, c’est vous, Mademoiselle, mais pour la deuxième valse seulement.

— Alors, mon cher Henri, dit Marc, nous n’allons pas te faire attendre ! »

Marc se trompait. Je devais attendre plus longtemps qu’il ne croyait la valse que Myra m’avait promise. Je l’attends même toujours, à vrai dire.

L’orchestre venait d’achever le prélude, lorsque, sans qu’on aperçût le chanteur, la voix retentit de nouveau, et cette fois au milieu du salon…

Au trouble des invités se joignit alors un vif sentiment d’indignation. La voix lançait à pleins poumons le Chant de la Haine de Frédéric Margrade, cet hymne allemand qui doit à sa violence une abominable célébrité. Il y avait là une provocation au patriotisme magyar, une insulte directe et voulue !

Et celui dont la voix éclatait au milieu de ce salon… on ne le voyait pas !… Il était là pourtant, et nul ne pouvait l’apercevoir !…

Les valseurs s’étaient dispersés, refluant dans la salle et dans la galerie. Une sorte de panique gagnait les invités, surtout les dames.

Le capitaine Haralan allait à travers le salon, l’œil en feu, les mains tendues comme pour saisir l’être qui échappait à nos regards…