En ce moment, sur un mot de Jem West, le bosseman plongea sa main dans les poches du cadavre. Il en retira un couteau, un bout de fil de caret, une boîte à tabac vide, puis un carnet de cuir, muni d’un crayon métallique.
Le capitaine Len Guy se retourna, et, au moment où Hurliguerly tendait le carnet à Jem West :
« Donne », dit-il.
Quelques feuillets étaient couverts d’une écriture que l’humidité avait presque entièrement effacée. Mais la dernière page portait des mots déchiffrables encore, et peut-on imaginer de quelle émotion je fus saisi, lorsque
j’entendis le capitaine Len Guy lire d’une voix tremblante :
« La Jane… île Tsalal… par quatre-vingt trois… Là… depuis onze ans… Capitaine… cinq matelots survivants… Qu’on se hâte de les secourir… »
Et, sous ces lignes, un nom… une signature… le nom de Patterson…
Patterson !… Je me souvins alors !… C’était le second de la Jane… le second de cette goélette qui avait recueilli Arthur Pym et Dirk Peters sur l’épave du Grampus… la Jane, conduite jusqu’à cette latitude de l’île Tsalal… la Jane attaquée par les insulaires et anéantie par l’explosion !…
Tout cela était donc vrai !… Edgar Poe avait donc fait œuvre d’historien, non de romancier !… Il avait donc eu communication du journal d’Arthur Gordon Pym !… Des relations directes s’étaient donc établies entre eux !… Arthur Pym existait ou plutôt il avait existé… lui… un être réel !… Et il était mort — d’une mort soudaine et déplorable, dans des circonstances non révélées, avant qu’il eût complété le récit de son extraordinaire voyage !… Et jusqu’à quel parallèle s’était-il élevé en quittant l’île Tsalal avec son compagnon Dirk Peters, et comment tous deux avaient-ils pu être rapatriés en Amérique ?…
Je crus que ma tête allait éclater, que je devenais fou, moi qui ac-