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en direction vers les falklands

J’étais assis sous le vent du rouf, en abord de la coursive, lorsque le capitaine Len Guy sortit de sa cabine, tourna ses regards vers l’arrière, et prit place près de moi.

Évidemment, il désirait me parler, et de quoi, si ce n’est de ce qui l’absorbait tout entier. Aussi, d’une voix moins chuchotante que d’ordinaire, débuta-t-il en disant :

« Je n’ai pas encore eu le plaisir de causer avec vous, monsieur Jeorling, depuis notre départ de Tristan d’Acunha…

— Je l’ai regretté, capitaine, répondis-je, en demeurant sur la réserve, de façon à le voir venir.

— Je vous prie de m’excuser, reprit-il. Tant de préoccupations me tourmentent !… Un plan de campagne à organiser… ne rien laisser à l’imprévu… Je vous prie de ne pas m’en vouloir…

— Je ne vous en veux pas, croyez-le bien…

— C’est entendu, monsieur Jeorling, et, aujourd’hui que je vous connais, que j’ai pu vous apprécier, je me félicite de vous avoir comme passager jusqu’à notre arrivée aux Falklands.

— Je suis fort reconnaissant, capitaine, de ce que vous avez fait pour moi, et cela m’encourage à… »

Le moment me semblait propice pour émettre ma proposition, lorsque le capitaine Len Guy m’interrompit.

« Eh bien, monsieur Jeorling, me demanda-t-il, êtes-vous maintenant fixé sur la réalité du voyage de la Jane, et considérez-vous toujours le livre d’Edgar Poe comme une œuvre de pure imagination ?…

— Non, capitaine.

— Vous ne mettez plus en doute qu’Arthur Pym et Dirk Peters aient existé, ni que William Guy, mon frère, et cinq de ses compagnons soient vivants…

— Il faudrait que je fusse le plus incrédule des hommes, et je ne fais qu’un vœu : c’est que le Ciel vous favorise et assure le salut des naufragés de la Jane !

— J’y emploierai tout mon zèle, monsieur Jeorling, et, par le Dieu puissant, j’y réussirai !