Page:Verne - Le Sphinx des Glaces, 1897.djvu/215

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
195
une voix dans un rêve.

survivants du naufrage, à l’époque où Patterson avait été entraîné à la surface du glaçon en dérive. Cela, c’était la part du réel, du certain, de l’indubitable.

Mais une autre part ne devait-elle pas être mise au compte de l’imagination du narrateur, — imagination prestigieuse, excessive, déréglée, à s’en rapporter au portrait qu’il a fait de lui-même ?… Et, d’avance, convenait-il de tenir pour certains les faits étranges qu’il prétend avoir observés au sein de cette lointaine Antarctide ?… Devait-on admettre l’existence d’hommes et d’animaux bizarres ?… Était-il vrai que le sol de cette île fût d’une nature spéciale, et ses eaux courantes d’une composition particulière ?… Existaient-ils, ces gouffres hiéroglyphiques dont Arthur Pym donnait le dessin ?… Était-ce croyable que la vue de la couleur blanche produisît sur les insulaires un effet d’épouvante ?… Et pourquoi pas, après tout, puisque le blanc, la livrée de l’hiver, la couleur des neiges, leur annonçait l’approche de la mauvaise saison, qui devait les enfermer dans une prison de glace ?… Il est vrai, que penser de ces phénomènes insolites signalés au-delà, les vapeurs grises de l’horizon, l’enténèbrement de l’espace, la transparence lumineuse des profondeurs pélagiques, enfin la cataracte aérienne, et ce géant blanc qui se dressait sur le seuil polaire ?…

Là-dessus, je faisais mes réserves et j’attendais. Quant au capitaine Len Guy, il se montrait très indifférent à tout ce qui, dans le récit d’Arthur Pym, ne se rapportait pas directement aux abandonnés de l’île Tsalal, dont le salut était son unique et constante préoccupation.

Or, puisque j’avais sous les yeux le récit d’Arthur Pym, je me promettais de le contrôler pas à pas, d’en dégager le vrai du faux, le réel du fictif… Et ma conviction était, bien que je ne retrouverais pas trace des dernières étrangetés qui, à mon avis, avaient dû être inspirées par cet « Ange du bizarre » de l’une des plus suggestives nouvelles du poète américain.

À la date du 19 décembre, notre goélette se trouvait donc d’un