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Page:Verne - Le Sphinx des Glaces, 1897.djvu/28

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le sphinx des glaces

« Monsieur Hurliguerly ?… dis-je.

— Monsieur Jeorling…

— Pourquoi votre capitaine répugnerait-il à m’accepter ?…

— Parce que ce n’est pas dans ses idées de prendre des passagers à son bord, et jusqu’ici il a toujours refusé les propositions de ce genre.

— Quelle raison, je vous le demande…

— Eh ! parce qu’il veut n’être point embarrassé dans ses allures, aller où il lui plaît, rebrousser chemin pour peu que cela lui convienne, au nord ou au sud, au couchant ou au levant, sans en donner de motifs à personne ! Ces mers du sud, il ne les quitte jamais, monsieur Jeorling, et voilà belles années que nous les courons ensemble entre l’Australie à l’est et l’Amérique à l’ouest, allant d’Hobart-Town aux Kerguelen, à Tristan d’Acunha, aux Falklands, ne relâchant que le temps de vendre notre cargaison, quelquefois pointant jusqu’à la mer antarctique. Dans ces conditions, vous le comprenez, un passager pourrait être gênant, et, d’ailleurs, lequel voudrait embarquer sur l’Halbrane, puisqu’elle n’aime pas à taquiner la brise, et va un peu où le vent la pousse ! »

Je me demandai si le bosseman ne cherchait point à faire de sa goélette un bâtiment mystérieux, naviguant au hasard, ne s’arrêtant guère en ses relâches, une sorte de navire errant des hautes latitudes, sous le commandement d’un capitaine fantasmatique. Quoi qu’il en soit, je lui dis :

« Enfin l’Halbrane va quitter les Kerguelen dans quatre ou cinq jours ?…

— Sûr…

— Et, cette fois, elle mettra le cap à l’ouest pour gagner Tristan d’Acunha ?…

— Probable.

— Eh bien, bosseman, cette probabilité me suffira, et, puisque vous m’offrez vos bons offices, décidez le capitaine Len Guy à m’accepter comme passager…