Ce fut en cet endroit, à s’en rapporter aux souvenirs du métis, que s’effectua la séparation des deux fugitifs, après le heurt du canot et du glaçon.
Mais une question se posait. Puisque ce glaçon, entraînant Dirk Peters, avait dérivé vers le nord, est-ce donc qu’il était soumis à l’action d’un contre-courant ?…
Oui, cela devait être, car, depuis deux jours, notre goélette ne sentait plus l’influence de celui auquel elle avait obéi en quittant l’île Tsalal. Et pourquoi s’en étonner, lorsque tout est si variable en ces mers australes ! Très heureusement, la fraîche brise du nord-est persistait, et l’Halbrane, couverte de toile, continuait à s’élever vers de plus hauts parages, en avance de treize degrés sur les navires de Weddell et de deux degrés sur la Jane. Quant aux terres, — îles ou continent, — que le capitaine Len Guy cherchait à la surface de cette immense mer, elles n’apparaissaient pas. Je sentais bien qu’il perdait peu à peu d’une confiance bien ébranlée déjà après tant de vaines recherches…
Quant à moi, j’étais obsédé du désir de recueillir Arthur Pym autant que les survivants de la Jane. Et pourtant, de croire qu’il eût pu survivre ?… Oui… je le sais !… C’était l’idée fixe du métis qu’il le retrouverait encore vivant !… Et si notre capitaine eût donné l’ordre de revenir en arrière, je me demande à quelles extrémités Dirk Peters se fût porté !… Peut-être se serait-il précipité à la mer plutôt que de retourner vers le nord !… C’est pourquoi, lorsqu’il entendait la plupart des matelots protester contre cette navigation insensée, parler de virer cap pour cap, avais-je toujours la crainte qu’il s’abandonnât à quelque violence, — contre Hearne surtout, qui excitait sourdement à l’insubordination ses camarades des Falklands !
Cependant il convenait de ne pas laisser l’indiscipline et le découragement s’introduire à bord. Aussi, ce jour-là, désireux de remonter les esprits, le capitaine Len Guy, sur ma demande, fit-il réunir l’équipage au pied du grand mât, et il lui parla en ces termes :