devint très difficile, dès que la goélette se fut engagée à travers la ligne des ice-bergs qu’il fallait couper obliquement. D’ailleurs, il n’y avait aucun de ces packs, de ces drifts, qui encombraient les abords de la banquise sur le soixante-dixième parallèle, rien du désordre que présentent ces parages du cercle polaire, battus par les tempêtes antarctiques. Les énormes masses dérivaient avec une majestueuse lenteur. Les blocs paraissaient « tout neufs », pour employer une expression d’une parfaite justesse, et, peut-être, leur formation ne datait-elle que de quelques jours ?… Toutefois, avec une hauteur de cent à cent cinquante pieds, leur volume devait se chiffrer par des milliers de tonnes. Éviter les collisions, c’est à cela que veillait minutieusement Jem West, et il ne quitta pas le pont d’un instant.
En vain, au milieu des passes que les ice-bergs laissaient entre eux, cherchai-je à distinguer les indices d’une terre dont l’orientation eût obligé notre goélette à revenir plus directement au sud… Je n’apercevais rien de nature à me fixer.
Du reste, et jusqu’alors, le capitaine Len Guy avait toujours pu tenir pour exactes les indications du compas. Le pôle magnétique, encore éloigné de plusieurs centaines de milles, puisque sa longitude est orientale, n’avait aucune influence sur la boussole. L’aiguille, au lieu de ces variations de six à sept rumbs qui l’affolent dans le voisinage de ce pôle, conservait sa stabilité, et l’on pouvait s’en rapporter à elle.
Donc, en dépit de ma conviction, — qui se basait cependant sur de très sérieux arguments, — il n’y avait aucune apparence de terre, et je me demandais s’il ne conviendrait pas de mettre le cap plus à l’ouest, quitte à éloigner l’Halbrane du point extrême où se croisent les méridiens du globe.
Aussi à mesure que s’écoulaient ces heures, dont on m’avait accordé quarante-huit, les esprits revenaient-ils peu à peu — c’était trop visible — au découragement et penchaient-ils vers l’indiscipline. Encore une journée et demie, et il ne me serait plus possible de