Page:Verne - Le Sphinx des Glaces, 1897.djvu/344

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
314
le sphinx des glaces

vivant… cette pensée n’aurait pu naître dans son cerveau. Mais, d’instinct, il sentait que ce n’était pas à suivre cette direction qu’il retrouverait les traces du pauvre Pym !

« Monsieur… m’aurait-il dit, comprenez-moi… ce n’est pas par là… non… ce n’est pas par là !… »

Et qu’aurais-je eu à lui répondre ?…

Vers sept heures du soir, s’éleva une brume assez épaisse, qui allait rendre malaisée et périlleuse la navigation de la goélette, tant qu’elle durerait.

Cette journée d’émotions, d’anxiétés, d’alternatives sans cesse renaissantes, m’avait brisé… Aussi regagnai-je ma cabine, où je me jetai tout habillé sur mon cadre.

Le sommeil ne me vint pas, sous l’obsession des troublantes pensées de mon imagination, si calme autrefois, si surexcitée maintenant. J’imagine volontiers que la lecture constante des œuvres d’Edgar Poe, et dans ce milieu extraordinaire où se fussent complu ses héros, avait exercé sur moi une influence dont je ne me rendais pas bien compte…

C’était demain qu’allaient finir les quarante-huit heures, — dernière aumône que l’équipage avait faite à mes instances.

« Ça ne va pas comme vous voulez ?… » m’avait dit le bosseman au moment où je pénétrais dans le rouf.

Non ! certes, puisque la terre ne s’était point montrée derrière la flottille des ice-bergs. Entre ces masses mouvantes, nul indice de côte n’ayant été relevé, le capitaine Len Guy mettrait demain le cap au nord…

Ah ! que n’étais-je le maître de cette goélette !… Si j’avais pu l’acheter, fût-ce au prix de toute ma fortune, si ces hommes eussent été mes esclaves que j’aurais conduits sous le fouet, jamais l’Halbrane n’aurait abandonné cette campagne… dût-elle l’entraîner jusqu’à ce point axial de l’Antarctide, au-dessus duquel la Croix du Sud jette ses feux étincelants !…

Mon cerveau bouleversé foisonnait de mille pensées, de mille re-