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le sphinx des glaces

— Aussi ai-je le droit de dire que c’est une malheureuse circonstance, Hurliguerly…

— Malheureuse, sans doute, et, à mon sens, y aurait-il à en tirer quelque avertissement…

— Lequel ?…

— C’est qu’il n’est pas permis de s’aventurer si loin dans ces régions, et m’est avis que le Créateur interdit à ses créatures de grimper au bout des pôles de la terre !

— Cependant ce bout n’est plus maintenant qu’à une soixantaine de milles…

— D’accord, monsieur Jeorling. Il est vrai, ces soixante milles, c’est comme s’il y en avait un millier, quand on n’a aucun moyen de les franchir… Et, si le lancement de la goélette ne réussit pas, nous voici condamnés à un hivernage dont ne voudraient même pas les ours polaires ! »

Je ne répondis que par un hochement de tête, auquel ne put se méprendre Hurliguerly.

« Savez-vous à quoi je pense le plus souvent, monsieur Jeorling ?… me demanda-t-il.

À quoi pensez-vous, bosseman ?…

— Aux Kerguelen, dont nous ne prenons guère le chemin ! Certes, pendant la mauvaise saison, on y jouit d’un beau froid… Pas grande différence entre cet archipel-là et les îles situées sur les limites de la mer antarctique… Mais, enfin, on est à proximité du Cap, et s’il vous plaît d’aller vous y réchauffer les mollets, il n’y a point de la banquise pour vous barrer le passage !… Tandis qu’ici, au milieu des glaces, c’est le diable pour en démarrer, et on ne sait jamais si l’on trouvera la porte ouverte…

— Je vous le répète, bosseman, sans ce dernier accident, tout serait terminé à présent d’une façon ou d’une autre. Nous aurions encore plus de six semaines pour sortir des mers australes. En somme, il est rare qu’un navire soit aussi mal pris que l’a été notre