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Page:Verne - Le Sphinx des Glaces, 1897.djvu/39

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le capitaine len guy

En effet, personne sur le quai. Quelques barques de pêche avaient quitté le port avant la tourmente, et, sans doute, s’étaient mises à l’abri au fond des criques que ni la mer ni le vent ne pouvaient battre. Quant à me rendre à bord de l’Halbrane, je n’aurais pu le faire sans héler une de ses embarcations, et le bosseman n’eût pas pris sur lui de me l’envoyer.

« D’ailleurs, pensai-je, sur le pont de sa goélette, le capitaine est chez lui, et, pour ce que je compte lui répondre s’il s’obstine dans son inqualifiable refus, mieux vaut un terrain neutre. Je vais le guetter de ma fenêtre, et, si son canot le met à quai, il ne parviendra pas à m’éviter cette fois. »

De retour au Cormoran-Vert, je me postai derrière ma vitre ruisselante dont j’essuyai la buée, ne m’inquiétant guère de la bourrasque qui s’engouffrait à travers la cheminée et chassait les cendres de l’âtre.

J’attendis, nerveux, impatient, rongeant mon frein, dans un état d’irritation croissante.

Deux heures s’écoulèrent. Et, ainsi que cela arrive fréquemment grâce à l’instabilité des vents des Kerguelen, ce fut le temps qui se calma avant moi.

Vers onze heures, les hauts nuages de l’est prirent le dessus, et la tourmente alla s’épuiser à l’opposé des montagnes.

J’ouvris ma fenêtre.

En ce moment, une des embarcations de l’Halbrane se prépara à larguer sa bosse. Un matelot y descendit, arma deux avirons en couple, tandis qu’un homme s’asseyait, à l’arrière, sans tenir les tireveilles du gouvernail. Du reste, une cinquantaine de toises entre le schooner et le quai, pas davantage. Le canot accosta. L’homme sauta à terre.

C’était le capitaine Len Guy.

En quelques secondes, j’eus franchi le seuil de l’auberge, et je m’arrêtai devant le capitaine, très empêché, quoi qu’il en eût, de parer l’abordage.