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Page:Verne - Le Sphinx des Glaces, 1897.djvu/392

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le sphinx des glaces

passe au pôle, nous y passerons, et, s’il n’y passe pas, nous n’y passerons pas !… Nous ne sommes plus les maîtres d’aller où il nous plaît… Un glaçon n’est point un navire, et comme il n’a ni voilure ni gouvernail, il va où la dérive le mène !

— J’en conviens, Hurliguerly. Aussi avais-je l’idée qu’en s’embarquant à deux ou trois… dans le canot…

— Toujours cette idée !… Vous y tenez à votre canot !…

— Sans doute, car, enfin s’il y a une terre quelque part, n’est-il pas possible que les hommes de la Jane

— L’aient accostée, monsieur Jeorling… à quatre cents milles de l’île Tsalal ?…

— Qui sait, bosseman ?…

— Soit, mais permettez-moi de vous dire que ces raisonnements seront à leur place, lorsque la terre se montrera, si elle se montre. Notre capitaine verra ce qu’il conviendra de faire, en se rappelant que le temps presse. Nous ne pouvons nous attarder dans ces parages, et, somme toute, que l’ice-berg ne nous ramène ni du côté des Falklands ni du côté des Kerguelen, qu’importe si nous parvenons à sortir par un autre ? L’essentiel est d’avoir franchi le cercle polaire avant que l’hiver l’ait rendu infranchissable ! »

C’était le bon sens même qui dictait ces paroles à Hurliguerly, je dois en convenir.

Tandis que s’exécutaient les préparatifs conformément aux ordres du capitaine Len Guy, et surveillés par le lieutenant, il m’arriva plusieurs fois de monter au sommet de l’ice-berg. Là, assis sur son extrême pointe, la longue-vue aux yeux, je ne cessais de parcourir l’horizon. De temps en temps, sa ligne circulaire s’interrompait au passage d’une montagne flottante ou se dérobait derrière quelque lambeau de brumes.

De la place que j’occupais, à une hauteur de cent cinquante pieds au-dessus du niveau de la mer, j’estimais à plus de douze milles la portée de mon regard. Jusqu’alors, aucun contour lointain ne se dessinait sur le fond du ciel.