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le capitaine len guy

En effet, Hurliguerly, interpellé par l’hôtelier du Cormoran-Vert, contestait que la partie fût définitivement perdue.

« Il est très possible, répétait-il, que le capitaine n’ait pas lâché son dernier mot ! »

Mais s’appuyer sur les dires de ce hâbleur, c’eût été introduire un terme faux dans une équation, et, je l’affirme, le prochain départ du schooner m’était indifférent.

Je ne songeais plus qu’à guetter l’apparition de quelque autre navire au large.

« Encore une semaine ou deux, me répétait mon aubergiste, et vous serez plus heureux, monsieur Jeorling, que vous ne l’avez été avec le capitaine Len Guy. Il s’en trouvera plus d’un qui ne demandera pas mieux…

— Sans doute, Atkins, mais n’oubliez pas que la plupart des bâtiments à destination de la pêche aux Kerguelen, y séjournent pendant cinq ou six mois, et si je dois attendre de tels délais pour reprendre la mer…

– Pas tous, monsieur Jeorling, pas tous !… Il en est qui ne font que toucher à Christmas-Harbour… Une bonne occasion se présentera, et vous n’aurez point à vous repentir d’avoir manqué votre embarquement sur l’Halbrane… »

Je ne sais si j’aurai à m’en repentir ou non, mais, — ce qui est certain, — c’est qu’il était écrit là-haut que je quitterais les Kerguelen comme passager de la goélette, et qu’elle allait m’entraîner dans la plus extraordinaire des aventures dont les annales maritimes devaient retentir à cette époque.

Dans la soirée du 14 août, vers sept heures et demie, lorsque la nuit enveloppait déjà l’île, je flânais, après mon dîner, sur le quai au nord de la baie. Le temps était sec, le ciel pointillé d’étoiles, l’air vif, le froid piquant. En ces conditions, ma promenade ne pouvait se prolonger.

Donc, une demi-heure plus tard, je me dirigeais vers le Cormoran-Vert, lorsqu’un individu me croisa, hésita, revint sur ses pas et s’arrêta.